Dans une Tribune Libre d'abord publiée dans Le Soir , Caroline Depuydt, psychiatre au centre Epsylon, répond à Jean Hermesse . Le patron des Mutualités Chrétiennes avait en effet dans ce même journal réclamé l'ouverture d'un débat sur le salaire de certains médecins.Retrouvez ci-dessous l'ntégralité de la réponse de notre consoeur à Monsieur Hermesse
LETTRE OUVERTE A MONSIEUR HERMESSE
Monsieur Hermesse, des Mutualités Chrétiennes, veut plus de transparence dans le système des soins de santé. Il voudrait également limiter le revenu des médecins spécialistes, et cite l’exemple de 250.000 euros par an en faisant un parallèle avec la fonction publique. Quand je lis cela, je me dis que les termes « trumpisation de l’information » ont encore de beaux jours devant eux, voilà encore une affirmation provocatrice et qui me frappe tout d’abord par ce qu’elle sous-entend : la plupart des médecins gagneraient donc largement plus que 250.000 euros et il serait temps de limiter ces potentiels abus. Je vous rassure tout de suite, et je parle en connaissance de cause, la grande majorité d’entre nous gagne beaucoup moins que cela !
Cher M. Hermesse, je suis tout à fait d’accord avec vous, soyons transparents !
Un long parcours
Laissez-moi donc vous résumer le parcours que nous faisons comme médecin.
Tout d’abord, 7 (maintenant 6) ans d’études. Si nous avons de la chance, financées par papa et maman. Sinon, jobs d’étudiants et prêts à la banque sont là pour nous. Ensuite la spécialisation, entre 3 et 5 voire 7 ans durant lesquels nous avons un salaire modique (moins qu’un infirmier) et qui ne comprend ni cotisation pour la pension, ni pécule de vacances ou 13e mois, ni cotisation pour une éventuelle incapacité de travail.
Enfin, nous voilà médecins généralistes ou spécialistes. Nous avons là un métier passionnant mais chargé de responsabilités (tant humaines que juridiques) et d’heures de travail sans compter les gardes et la continuité des soins (appels, SMS, courriels).
Médecin… et Robin des Bois à la fois
Qui plus est, dans notre pratique quotidienne, nous sommes confrontés à la pauvreté et l’indigence. Une mère seule avec ses deux enfants qui ne sait pas comment elle va terminer son mois, les familles qui ne prennent jamais de vacances et celles qui mangent des pâtes dès le 15 du mois. M. Hermesse, que croyez-vous que nous faisons dans ces cas-là ? Nous soignons ces gens, et s’ils ne peuvent pas payer, nous leur demandons le ticket modérateur et 1 euro ou 2 ou ce qu’ils peuvent donner. C’est comme cela que je conçois ma pratique, et c’est également ainsi que font la majorité de mes confrères et consœurs, toutes spécialités confondues, y compris tous mes collègues généralistes que vous ne semblez pas inclure dans votre grand plan de « transparence ».
Certains d’entre nous pratiquent également ce que j’appelle la « politique du Robin des Bois », ils demandent des suppléments aux plus aisés et ne font pas payer ceux qui sont dans le besoin, ce qui permet de repartir les frais.
Parlons d’ailleurs des suppléments, ils gonflent les revenus bruts de certains spécialistes mais sont en réalité en grande partie ponctionnés par l’hôpital (c’est la rétrocession d’honoraires) et servent également à acheter du matériel et à embaucher du personnel qualifié.
Halte à la généralisation
Alors, après tout cela, je vous l’accorde, sinon je serais de mauvaise foi, certains médecins spécialistes gagnent plus que 250.000 euros par an. Peut-être ceux-ci estiment-ils qu’ils ont développé une expertise et un savoir-faire tel que cela mérite d’être valorisé. Peut-être ont-ils acquis cette expertise de haute lutte après des formations coûteuses à l’étranger. Peut-être également travaillent-ils sans compter, victimes de leur « workaholisme ». Mais finalement, le patient reste au bout du compte libre et maître de ses choix, il peut donc décider de continuer à aller chez ce médecin ou en changer.
Ne vous y trompez pas : nous ne nous plaignons pas. Nous gagnons bien notre vie, nous pouvons partir en vacances et ne pas nous serrer la ceinture à la fin du mois. Mais il ne faut tout de même pas exagérer dans les insinuations et les fausses informations que l’on fait passer dans le grand public. Arrêtez de nous faire passer pour ce que nous ne sommes pas. Nous, médecins, demandons que les politiques et les personnalités publiques telles que vous, permettent la sérénité des débats et encouragent le développement de notre mission principale : celle du soin.
Derniers commentaires
Jean-Marc Verdebout
26 aout 2024C'est à 21h, dernière consultation terminée ( début à 8h) que je lis cet article fort à propos.
Par esprit de lucre...ou pour essayer de ne pas fermer la porte de mon cabinet aux nombreuses personnes qui en font la demande?
Peut-être est-il bon de rappeler le volume d'heures de travail et la disponibilité qui correspond à ces honoraires?
Sans dénigrer la profession, j ai observé, pour l'exemple, une bien plus nette progression salariale chez mon garagiste ( 68 euros/h) que dans la nôtre ces 10 dernières années...mais il n'est jamais trop tard pour investir dans un car-wash automatisé
Stéphane MONIOTTE
08 mars 2019Excellente analyse. Merci!
Philippe BURTON
14 février 2019Bonjour, je souhaite réagir à cet article.
Un vieux dicton dit : charité bien ordonnée commence par soi même : je voudrais bien savoir ce que gagne un patron de mutuelle en y injectant bien plus que son salaire brut : sa voiture, ses restaurant, ses frais de représentation, ses frais d'essence, son assurance groupe... Elle est où la transparence ?
ceci est valable pour les politiques : on multiplie les politiciens, les ministres qui ont tous un cabinet avec des dizaines voire des centaines de personnes qui y travaillent ... Elle est où la transparence ? Bien à vous M. Hermesse et MERCI Dr Depuydt.
Dr Philippe Burton
Marie-Claude JACOBS
25 septembre 2018Merci pour cet article digne. Dommage qu'il soit si difficile de faire comprendre cela aux ministres et à la population générale.
MC Jacobs
Pierre Nys
13 aout 2018Simplement merci d avoir pris le temps de répondre à Me Hermesse. J abonde entièrement à votre analyse.
Dr Nys
Xavier Van Der Brempt
10 aout 2018Un grand bravo à notre consoeur psychiatre pour cette réaction pleine de bon sens et de vérité.
Quand on travaille dans un bureau toute la journée, avec un (très bon) salaire toujours le même qui tombe tous les mois, ce qui est le cas pour Monsieur Hermesse, on ne peut pas réaliser ce qu'est la vie d'un médecin consciencieux, c'est-à-dire la toute grande majorité des médecins. Et au vu de l'importance et de la sous-évaluation de l'acte intellectuel, de l'aspect vital de la Santé, et des responsabilités qu'un médecin doit prendre tous les jours, il me semble surtout clair que certains médecins ou certaines spécialités ne gagnent pas assez dans l'état actuel de la nomenclature...
Claire LOUIS
30 juillet 2018Votre réponse est très pertinente .
Je partage la même opinion concernant les difficultés financières des patients et la pratique du tiers payant, quitte à "perdre" le ticket modérateur et assumer la charge administrative afin d'assurer les soins.
Tous les rapports médicaux, contacts téléphoniques des patients, tâches administratives.... ne sont pas rémunérées... la plupart des médecins ne doivent pas avoir un salaire horaire bien élevé...
J'espère que vos propos seront pris en compte.
Véronique HALKIN
25 juillet 2018Cher Monsieur Hermesse, êtes-vous indépendant et allez-vous gagner une pension de misère comme nous?
Je trouve vos remarques déplacées et culottées.
Catherine Vansteelandt
22 juillet 2018Merci Madame Dupuydt ,
Il est temps de réagir face aux médias qui s'imaginent grâce à ce qu'on leur raconte que les médecins sont souvent démesurément riches au détriment du contribuable .Il est temps de venir sur le terrain et de voir et nos salaires (à un point tel que l'on n'ose même plus en parler) et la quantité de travail fournie sur le plan médical ,social ,papiers de toutes sortes, réponses aux mails ,écoute du malade ,réunions . On ne travaille pas 40 h semaine ,mais bien souvent 80. Bien sûr certains médecins sont mieux lotis que d'autres :tant mieux pour eux .Pourquoi tant de jeunes émigrent ,ou font un tout autre métier après leurs études?
Soyons clairs pour ceux qui vont nous suivre :la médecine est un sacerdoce pour la plupart d'entre nous et il faut le savoir avant de commencer.
Catherine Vansteelandt oncologie CHU Brugmann
Eric RAUCQ
21 juillet 2018moi je suis d'accord... on met TOUS les médecins à 250.000 par an bruts, payés par l'état...
:-)
Ce sera fini des les examens complémentaires inutiles pour gagner sa vie... mais ce sera aussi fini les rdv rapides en cas de besoin du patient..
Philippe de Marneffe
21 juillet 2018Mr Hermesse ferait mieux de balayer devant sa porte ...
https://www.jobat.be/fr/articles/combien-gagne-la-direction-des-mutualites/
Josiane HAEGEMAN
20 juillet 2018formidable à envoyer à toutes les médias
Dr Josiane Haegeman
Caroline DEPUYDT
20 juillet 2018Cher(e) collègues ,
Je suis heureuse de lire que je ne suis pas seule à me porter en faux vis à vis de ces attaques répétées dans la presse. Et je rejoins toutes vos’remarques complémentaires.
Pauline Lecerf
19 juillet 2018Bravo!
Kim ENTEZARI
19 juillet 2018Bravo votre réaction démontre le mélange des genres que les mutuelles entretiennent volontairement auprès du public
J’ajouterai 2 points
Si mr Hermesse lit les mêmes revues que nous, il ne lui aura pas échappé que le dérapage budgétaire cette année est imputable à une sous estimation du coût des thérapies innovantes (près de 250 millions) et que honoraires et frais de fonctionnement des hôpitaux sont restés stables voire on fait mieux que les prévisions.
Second point, MC se sont battues pour supprimer les honoraires supplémentaires en chambre commune avec comme promesse une répercussion sur les primes .... les affiliés attendent toujours.
Et ce n’est que 2 exemples d’une liste très longue de mensonges.
Deux mots pour rester dans le même thème de trumpisation FAKE NEWS
Adelin HACCOURT
19 juillet 2018Nous n'avons pas de compte à rendre aux mutuelles qui nous oublions de le rappeler sont des organes accessoires et coûteux et dons certains responsables gagnent beaucoup d'argent sans avoir fait de grandes études mais mis en place par copinage...surtout les mutualités dites chrétiennes..Nous n'avons de compte à rendre qu'aux patients !
Dominique HERMAN
19 juillet 2018Chère consœur ,
Félicitations
Jean-Paul MONNOYE
19 juillet 2018Enfin une consœur qui écrit ce qui reflète la vie de beaucoup d’entre nous et j’ajouterai que nombreux d’entre nous continuent à travailler après 65 ans par passion mais aussi pour suppléer à notre maigre « pension «
Michel Stouffs
19 juillet 2018Chère Consoeur (ou Confrère, si vous préférez) Depuydt,
Félicitations pour votre lettre mesurée où votre féminité s'abstient de l'agressivité mâle qu'elle méritait!
Parce que de quoi je me mêle?
Les mutuelles ne sont qu'un intermédiaire, politisé pour les 3 x 2 principales, actuellement peu justifiées vu l'informatisation. Les compagnies d'assurance éviteraient sans doute cette main mise, dans ce cas, politico-religieuse, des mutuelles sur un business très rentable d'intermédiaire entre INAMI et patient ou soignant, avec options payantes incluses dans la formule standard où il suffit de signer puis de payer!
Tout cela est entré dans la culture belge à tel points que la mutuelle chrétienne flamande a donné naissance au premier ministre J-L Dehaene: est-ce le but poursuivi? Le mélange des genres atteint ici toute son acception! (Et je n'ai aucune haine contre cet Homme, R.I.P.)
Donc non, catalogués "profession libérale", protégeons soigneusement nos libertés diagnostique et thérapeutique, comme notre choix de conventionné ou pas, le plus loin possible de tous les ignares qui veulent intervenir, d'une façon ou d'une autre, dans cette relation de confiance entre patient et médecin, de façon autoritaire!
Leur envie de pouvoir est évidente tant sur l'humiliation du médecin - devenu "prestataire de soin - (ou soignants, d'ailleurs) que sur leur clientèle obligée!
M.S.
Olivier DE LATHOUWER
19 juillet 2018Un seul mot: BRAVO !
Anita MORTELMANS
19 juillet 2018ce qui est irritant est aussi de lire que l'on met tous les spécialistes dans le même panier. certaines spécialités n'ont aucun acte technique à faire valoir. et la consultation est codifiée de sorte que le salaire du spécialiste équivaut à celle du généraliste. le cas des psychiatres e.a. et je pense que bcp de pédiatres sont dans le même cas. alors, les médias devraient plus nuancer et argumenter leur propos et éviter les amalgames.
Charles GERARD
19 juillet 2018Je serais tès intéressé de connaître le montant du salaire mensuel de Monsieur Hermesse (avec ses avantages en nature voiture, GSM...) et la durée de ses prestations hebdomadaires.
Je suis presque certain qu'en salaire horaire il gagne autant si pas plus que moi.
Charles GERARD, gynécologue au CHU Brugmann.