Contrairement à ce qui se passe dans le système du paiement à la prestation classique, la loi du 19 juillet 2018 relative aux soins à basse variabilité prévoit qu’un honoraire forfaitaire soit attribué pour certains groupes de pathologies. Les premiers projets de loi rédigés à ce sujet partaient du principe que les médecins devraient se mettre d’accord entre eux sur le partage de ce forfait globalisé… mais il s’est rapidement avéré que ce n’était pas une bonne idée. Pour éviter les guerres entre disciplines et autres conflits tribaux, le texte prévoit finalement que c’est l’Inami qui se chargera de déterminer la part du forfait dévolue à chaque médecin.
Cette approche comporte pourtant d’inévitables aberrations, puisque l’Inami sélectionne toutes les prestations des médecins impliqués dans le traitement d’une pathologie donnée à l’échelon national. Un exemple classique (mais il y en a beaucoup d’autres) est celui du syndrome du canal carpien : dans 3 % des cas, l’intervention est réalisée par un spécialiste en chirurgie plastique, de telle sorte que 3 % du forfait sont prévus pour le remboursement de ce dernier, même lorsque c’est par exemple un orthopédiste qui opère. La position généralement acceptée est aujourd’hui que cette aberration peut être levée à l’échelon de l’établissement en transférant la part du chirurgien plasticien à l’orthopédiste ; il suffirait pour cela de modifier les conventions financières qui existent au sein de l’hôpital. La base légale de cette opération se trouverait à l’article 7 alinéa 4 de la loi, qui stipule que l’honoraire forfaitaire est attribué aux médecins conformément à la répartition de l’Inami et sans préjudice de l’article 144 de la Loi sur les Hôpitaux. Les dispositions financières étant fixées en vertu de ce même article 144, le raisonnement semblait couler de source… mais j’ai bien peur que l’on s’égare.
Il n’est en effet écrit nulle part que les dispositions financières peuvent autoriser la redistribution du forfait globalisé. L’exposé des motifs qui accompagne l’article 7 de la loi stipule même au contraire que l’octroi des différentes parties de l’honoraire forfaitaire doit se faire dans le respect des conventions (financières) inscrites dans la réglementation générale de l’hôpital. La direction de l’établissement pourrait évidemment tenter d’adapter ces dispositions financières sur l’avis renforcé du conseil médical et de procéder malgré tout à la redistribution du forfait… mais il est loin d’être certain que cette modification soit aussi opposable aux médecins (qui y perdent), ce qui débouchera certainement sur des contestations.
Il y a toutefois encore un second problème juridique. Les dispositions financières de l’établissement supposent que l’on opte obligatoirement pour l’un des systèmes de rémunération qui figurent dans la liste limitative de l’article 146 de la Loi sur les Hôpitaux. En vertu de cet article, les médecins hospitaliers ne peuvent en effet légalement être rémunérés que de cinq manières : (1) à l’acte, (2) sur la base de la répartition d’un “pool” de rémunérations à l’acte, établi pour l’ensemble de l’hôpital ou par service, (3) par le biais d’un pourcentage – fixé de manière contractuelle ou statutaire – de la rémunération à l’acte ou d’un “pool” de rémunérations à l’acte, (4) par le biais d’un salaire ou (5) au travers d’une indemnité fixe éventuellement majorée d’une fraction du “pool” des rémunérations à l’acte. Il est donc possible pour un médecin de renoncer à certains honoraires dans les systèmes (2), (3), (4) et (5), mais soit pour les retoucher sous une autre forme, soit pour les consacrer à un objectif commun. Renoncer à ses honoraires (forfaitaires) au profit d’autres médecins hospitaliers ne semble à première vue pouvoir s’inscrire dans aucun des cinq systèmes de rémunération autorisés par la loi… et je serais très curieux de voir quels arguments la ministre va opposer à cette objection devant le parlement.