Faut-il externaliser la défense des intérêts professionnels des médecins hospitaliers ?

Lors durécent  congrès des anesthésistes « Anaesthesaia: Taking the lead », Maître Filip Dewallens a exposé sa vision sur le rôle et les compétences du conseil médical et du médecin-chef dans la gouvernance hospitalière. Il plaide pour une répartition plus claire des responsabilités entre le conseil médical et la direction, une distinction entre politique professionnelle et politique médicale, ainsi qu’une réponse structurelle aux défis financiers. La question de la défense des intérêts professionnels a également été soulevée.

Dans le cadre législatif actuel, le médecin-chef exerce un rôle directif et rend compte au conseil d’administration de l’hôpital, tout en disposant d’une certaine autonomie au sein du comité de direction, indépendamment du CEO. Le conseil médical, quant à lui, joue un rôle majeur dans l’ajustement de la politique hospitalière, notamment via le système d’allocations. Dans la pratique, cette « structure bicéphale » peut facilement donner lieu à des tensions.

L’expert juridique relève deux singularités : l’implication substantielle des médecins hospitaliers belges dans la politique de leur institution (comparée à d’autres pays), combinée à une intégration paradoxalement moins formelle. La rémunération à l’acte renforce cette contradiction, la plupart des médecins hospitaliers étant des indépendants. Le régime d’allocations devient ainsi un levier managérial pour gouverner efficacement et obtenir divers avantages, parfois au-delà des compétences légales du conseil médical.

Selon lui, les contraintes budgétaires ont réduit le rôle du conseil médical à celui d’un simple organe consultatif, voire, pour certains, à un organe devenu obsolète.

Une difficile application des normes internes

Ce glissement s’explique aussi par la difficulté à faire respecter les normes internes des hôpitaux. La mise en œuvre de règles générales ou financières nécessite diverses « constructions », rendant la gestion hospitalière particulièrement complexe. Or, l’expérience étrangère montre que vouloir attacher les médecins de trop près à l’hôpital peut entraîner leur désengagement dans les initiatives politiques — un phénomène qualifié de « syndrome du boa constrictor ». À l’inverse, plus de liberté peut engendrer un sens accru des responsabilités et un véritable leadership clinique.

Aujourd’hui, le pouvoir du conseil médical découle principalement de l’article 155 de la loi hospitalière (concernant le mécanisme d’allocations). Pour avancer vers une meilleure co-gouvernance, il ne s’agit pas de créer de nouvelles structures formelles, mais d’optimiser celles existantes.

Politique professionnelle ou politique médicale ?

À court terme (d’ici cinq ans), l’objectif serait de mettre fin au chevauchement entre intérêts professionnels et politique médicale, notamment dans le cadre de la réforme du financement. Ce processus met en lumière le recours abusif aux compétences du conseil médical et du conseil d’administration, la position délicate du médecin-chef et la faible influence des chefs de service.

À moyen terme (à l’horizon 2030), Filip Dewallens propose de renforcer le conseil médical, qui serait exclusivement compétent pour les intérêts professionnels et le statut des médecins. La politique médicale, elle, devrait être centralisée au sein d’un conseil des chefs de service présidé par le médecin-chef.

Sur le long terme — dans l’hypothèse d’une réforme complète du financement — l’expert envisage une intégration du conseil médical et de la direction médicale au sein d’une seule commission médicale. À l’image du modèle français, on y retrouverait un mélange de médecins élus et de chefs de service, avec à leur tête un directeur médical ou médecin-chef. Cette commission serait centrée sur la qualité des soins. Le médecin-chef devrait alors disposer d’un véritable droit d’instruction.

Mais qu’en serait-il des intérêts professionnels ? Ne conviendrait-il pas mieux de les défendre en dehors de l’hôpital, via un organe externe ayant un rôle de partie prenante au sein de l’institution ? C’est la réflexion posée par l’expert juridique, sans trancher pour autant.

Filip Dewallens doute d’ailleurs que ce modèle à long terme, sans compétences concurrentes, soit réellement viable. Il estime que l’on restera probablement bloqué dans un modèle intermédiaire.

Dans un monde idéal

En conclusion, il estime que le conseil médical s’est vu confier trop de responsabilités, souvent malgré lui. Il prône une séparation plus nette entre participation au statut professionnel et implication dans la politique médicale, qui devrait être menée « bottom-up », à partir d’un plan stratégique par service — une pratique déjà en vigueur dans de nombreux hôpitaux. Ce plan devrait s’inscrire dans la stratégie globale définie par le conseil d’administration. Le système d’allocations — qui ne disparaîtra sans doute pas, mais sera allégé — resterait entre les mains du conseil médical, en raison de son rôle dans la concrétisation de cette stratégie. Mais ainsi, la politique médicale ne serait plus mêlée au statut professionnel… du moins dans un monde idéal.

Lors du débat avec la salle, une question a surgi : est-il justifié de continuer à demander des contributions aux médecins alors que les hôpitaux enregistrent des pertes ? « Le conseil médical est-il encore l’instance compétente pour imposer ces contributions ? Ne faudrait-il pas une assemblée générale des médecins hospitaliers pour en décider ? » interrogeait un participant.

Enfin, même si la réforme actuelle de la nomenclature repose sur le budget des honoraires existants, la question ne manquera pas de se poser, à terme, de savoir comment financer les pertes d’exploitation des hôpitaux et si l’on pourra encore puiser dans les honoraires des médecins.

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Derniers commentaires

  • Benoit Collin

    27 mars 2025

    Intéressantes réflexions certainement à intégrer dans les concertations vers une nouvelle gouvernance hospitalière avec un rôle syndical à l'instar d'autres partenaires de l'hôpital !