Donner à tous les patients cancéreux en Europe la possibilité de recevoir les meilleurs soins, telle est la mission de l'Organisation of the European Cancer Institutes, présidée par le Dr Dominique de Valeriola (directrice médicale, Institut Jules Bordet) qui vient d'accueillir le congrès de l'OECI à Bruxelles (15-17 juin).
Ces dernières années, dans la lutte contre le cancer, l'arrivée des biomarqueurs et de l'immunothérapie a engendré une véritable révolution. Diffuser ces innovations auprès de ses membres et à l'extérieur est au cœur du travail de l'OECI, une organisation qui regroupe presque 80 centres dans 28 pays européens. «Créée en 1979, elle s'est surtout développée ces dernières années dans le souci d'améliorer la qualité des soins dans les centres du cancer en Europe, en partageant l'expérience et en mettant en place un système d'accréditation et de certification des centres, précise le Dr de Valeriola. L'OECI vise surtout à promouvoir des soins multidisciplinaires, l'intégration de la recherche aux soins et l'éducation des professionnels dans le domaine de l'oncologie.»
- Vous visez aussi l'empowerment des patients?
- Dr de Valeriola: L'OECI collabore avec l'ECPC, European Cancer Patients Coalition, qui regroupe plus de 400 associations de patients à travers l'Europe. Nous travaillons ensemble pour mieux répondre aux besoins réels des patients, pas uniquement pour les soins, mais aussi concernant leurs attentes: nous essayons d'encourager les patients à participer aux études cliniques afin d'accélérer les résultats potentiels en incluant rapidement le plus grand nombre de sujets. On va donc plus loin que la simple participation du patient à la prise de décision par rapport à sa situation, on essaye de développer une culture basée sur le relationnel entre les professionnels des centres du cancer, les patients et leurs associations.
- Travailler avec ces associations est-il important parce qu'il y a de plus en plus de patients cancéreux et de plus en plus de survivants?
- Oui, c'est très important, le "survivorship". Comme plus de patients survivent à leur cancer, malheureusement avec parfois des effets secondaires importants ou particuliers, il convient de savoir les gérer. Il faut donc trouver le moyen de bien éduquer le patient mais aussi tous les intervenants, de travailler mieux avec le médecin généraliste pour qu'il y ait un bon trajet de soins et qu'il puisse correctement suivre ses patients, en collaboration avec les centres anticancéreux, en fonction des besoins propres du patient, qui ne sont pas toujours compris ou entendus par les médecins.
- D'où le besoin de formations?
- Quand on voit l'avènement des nouveaux traitements, que ce soit la biologie moléculaire (si on tient compte de leur aspect moléculaire, de plus en plus tumeurs sont rares: ainsi, on considère que 20-25% des cancers sont des cancers rares) ou l'immunothérapie, ce sont des domaines qu'il n'est pas aisé de maîtriser complètement. Il faut donc des formations spécifiques, c'est ce que nous devons essayer de mettre en place. Par exemple, l'immunothérapie -qui était l'objet de la conférence scientifique dans le cadre des Oncolgy Days de l'OECI- est un domaine extrêmement complexe et en plein essor, avec des résultats encourageants qui risquent de révolutionner les traitements, mais qui donnent aussi des effets secondaires spécifiques: tant les oncologues que les généralistes vont devoir suivre ces évolutions.
Réinsertion des malades
- Les patients survivent plus. Que pensez-vous des "menaces" de remise au travail des malades longue durée?
- À l'institut Bordet, nous travaillons à la mise en place d'un projet pilote sur la réinsertion socioprofessionnelle des patients parce que c'est quelque chose qui doit être pris en compte entre les médecins oncologues, le généraliste, le patient, mais aussi le médecin du travail. Il faut essayer d'établir une concertation et réfléchir à chaque cas, pris individuellement dans un contexte global. Mais la reprise du travail peut aussi intervenir dans le bien-être du patient, si cela se fait de manière concertée et avec les employeurs qui doivent être positifs par rapport à ce retour. Beaucoup de patients ont parfois des difficultés à reprendre le travail dans un environnement où la pathologie cancéreuse est considérée comme quelque chose de grave, avec des risques de rechutes... C'est aussi la question du droit à l'oubli au travail et pour les assurances.
- Que pensez-vous de la polémique sur le coût exorbitant des médicaments anticancéreux?
- Tous ces médicaments coûtent très chers. Il faut voir le bénéfice pour le patient sur le plan de la survie et de la qualité de vie par rapport au coût des médicaments. Ici, l'avis des patients est essentiel: c'est également une démarche dans laquelle ils doivent s'inscrire.
On a la chance d'avoir une série de nouveaux médicaments. Parfois, évidemment, on peut considérer qu'ils ne donnent qu'un petit gain de survie pour un coût impossible à prendre en charge par la société. Néanmoins, il y a aussi de plus en plus de médicaments pour lesquels il n'y a une efficacité que pour un petit nombre de patients. C'est là qu'on pourra aussi tenter de faire des économies (ou du moins de limiter les coûts), c'est-à-dire tenter de définir les patients qui vont bénéficier au mieux de ces nouveaux traitements. Ici encore, ce sont les biomarqueurs moléculaires et des informations à l'échelon immunitaire qui vont peut-être nous aider à trouver quels sont les patients qui bénéficieront le mieux d'un médicament et ainsi éviter de le donner à un trop grand nombre de patients qui n'en tireront aucun avantage. On doit vraiment parvenir à mieux orienter nos choix.
- Fait-on déjà ça de façon systématique?
- Cela dépend. À l'institut Bordet, on a mis en place un tour multidisciplinaire où chirurgiens, radiothérapeutes, chimiothérapeutes et d'autres se réunissent pour discuter des cas individuellement. Nous avons un tour multidisciplinaire centré sur la biologie moléculaire qui vise à intégrer dans cette décision le profil moléculaire de la tumeur et éventuellement d'autres aspects, dont l'immunité qui demain fera probablement partie de cette discussion où on essaie de préciser le médicament le plus pertinent dans un contexte particulier.
Indispensable concertation
- Le prix élevé est-il celui de l'innovation?
- L'innovation coûte cher, il est clair que les firmes pharmaceutiques sont des entreprises commerciales, mais je crois que c'est par une concertation entre les autorités compétentes, les patients, les experts et les firmes pharmaceutiques qu'on peut arriver à réduire les coûts. Je pense qu'il serait utile que ces choses se discutent à l'échelon européen plutôt qu'à celui des pays parce que ce serait plus logique en matière d'équité par rapport aux patients et aux contribuables. Il est assez perturbant de voir les différences d'accès à certains médicaments et de prix à travers l'Europe.
Le coût des médicaments en oncologie est très élevé, le nombre de patients est important, le coût/patient est énorme... Mais, si on trouve des médicaments sans trop de toxicité ou en la réduisant par rapport à ceux qu'on utilise aujourd'hui, on pourrait aussi éviter certaines hospitalisations, des effets secondaires... Tout cela doit être pris en compte.
- Il faut une réflexion globale pour que ces médicaments restent accessibles et plus de réalisme par rapport aux résultats...
- Oui et ne pas faire de surenchère. Il est important que les patients puissent interagir parce que cela pourrait ajouter encore à la neutralité dans la prise de décision, même si les experts sont là pour conseiller et qu'il y a toute une série d'autres contingences que les résultats des études cliniques qui jouent évidemment à l'échelon des décideurs: il est important que tous puissent y contribuer.