Absentéisme, démission, ras-le-bol, épuisement professionnel… sont des mots que l’on n’a jamais autant entendus que cette année dans le secteur des soins de santé. Doit-on s’en accommoder ou faut-il résister ?
La pandémie a marqué à jamais les esprits de ceux qui ont dû se mobiliser durant cette période difficile. Ensuite, la situation financière des hôpitaux – fragile pour un bon tiers d’entre eux – a maintenu la pression sur les équipes, épuisées par deux ans de combat contre le Covid, obligées d’être toujours plus performantes.
Lors de la conférence «Être bien dans l’hôpital de demain ?», organisée le 8 décembre par le Comité d’éthique de la Clinique Saint-Luc de Bouge, la parole a pu se libérer pour évoquer les véritables conditions de travail des médecins et des soignants. Un ressenti que nous n’avons jamais entendu avec une telle intensité lors des nombreux colloques hospitaliers auxquels nous avons assisté cette année.
L’hôpital est vu par certains comme une « usine à but essentiellement lucratif », un « banquier », qui impose des normes, des guidelines – dignes des « Temps modernes de Chaplin » - et laisse très peu de place à l’autonomie des travailleurs. Ceux-ci finissent par se lasser de toutes ces contraintes, font le « deuil de leur idéal », regrettent de perdre le « sens de leur vocation » ou d’être traités « comme des robots » ou des « soignants-encodeurs ». Ces professionnels du soin se résignent - « il faut bien payer ses factures »-, tombent malades, s’absentent ou quittent définitivement la profession. Certains quittent même leur profession après quelques années d’exercice.
Lors du colloque, le Dr Fabrice Gossens a témoigné de son changement radical de vie professionnelle. Après une longue carrière à l’hôpital, cet anesthésiste a quitté définitivement le secteur hospitalier pour travailler à son rythme et surtout pour pouvoir consacrer véritablement du temps à chaque patient « en réalisant une anamnèse et en l’auscultant ». « Je ne voulais pas commettre une erreur médicale à force de travailler en pilote automatique. J’ai préféré arrêter. J’ai dû tout reconstruire», confie le spécialiste. Travaillant désormais en solo, tout en collaborant avec des confrères, il effectue juste encore quelques gardes pour le plaisir de travailler en équipe.
Dépersonnalisation
Une intervenante – médecin spécialiste – a souligné que par le passé, elle avait été engagée dans un hôpital en tant que « personne » et que quelques années plus tard elle a été recrutée comme un « profil correspondant à une fonction ». Un glissement sémantique qui est un signe explicite de la déshumanisation du rapport au travail.
Selon le psychiatre Raymond Gueibe, de nombreux soignants sont « déboussolés ». Est-ce une fatalité ? Il y a-t-il des solutions pour améliorer le bien-être des travailleurs hospitaliers ?
La psychologue Geneviève Cool leur conseille de partager leurs difficultés dans des groupes de parole qui rassemblent les équipes par métier.
« Il ne faut certainement pas se résigner », conseillent les trois orateurs. Le Dr Gueibe recommande d’exprimer clairement – de préférence en tête à tête – son désaccord avec un collègue ou un responsable. Et de quitter une institution si son mode de fonctionnement met à mal les valeurs auxquelles le travailleur tient.
Raymond Gueibe a rappelé qu’en pleine crise sanitaire, Didier Delval, directeur général du CHwapi, avait déclaré dans la presse qu’il n’obligerait pas son personnel soignant à se faire vacciner contre le Covid. Une attitude courageuse qui avait poussé le ministre de la Santé publique, Frank Vandenbroucke, à postposer, puis abandonner, une mesure annoncée avec beaucoup de conviction à l’époque.
Pour lutter contre l’absence de concertation et de communication qui gangrène les grandes institutions, le travail en équipe et la pluridisciplinarité sont également, selon les orateurs, des pistes à développer. A retenir pour 2023.
Derniers commentaires
Thierry Devigth
13 décembre 2022"La psychologue Geneviève Cool leur conseille de partager leurs difficultés dans des groupes de parole qui rassemblent les équipes par métier. "
Super, parler, se plaindre mais jamais rien ne change. Pire, on risque d'être considéré comme un élément perturbateur négativiste ayant une mauvaise influence sur le reste de l'équipe. Et en privé, c'est encore plus difficile.
Robert Müler
13 décembre 2022Le mot "encodeur" pour nommer le médecin est le choix parfait, qui décrit la situation actuelle. Il suffit de comparer le nombre d'informaticiens dans les hôpitaux, par rapport à il y a dix ans. On se dirige vers une dictature aveugle des informaticiens, qui n'ont aucune connexion avec la vie réelle en médecine et imposent leurs règles, sous le vieux prétexte de la "sécurité". C'est faux et illusoire, toute les statistiques montrent que le plus qu'on s'informatise, le plus on devient vulnérable. La juste mesure est la voie à suivre, comme dans tout le reste.