Dans un article récent (ici) on annonce qu’en 2018, plusieurs milliers d’articles scientifiques ont été publiés par des scientifiques des Pays Bas dans des revues prédatrices.
Pour bien comprendre la gravité de la situation, il faut d’abord expliquer la façon dont les publications scientifiques sont faites, financées et publiées.
Un chercheur est un scientifique se focalisant dans un ou plusieurs domaines (le mien, c’est la psychiatrie et les statistiques). Le chercheur travaille généralement en équipe dans un département universitaire, avec un chef de service qui est le plus souvent le directeur des projets scientifiques. Les chercheurs de différents départements et différentes universités peuvent collaborer sur des projets de recherche pour combiner plusieurs domaines d’expertise. Les chercheurs sont le plus souvent engagés par l’université, sont financés par des bourses ou font de la recherche gratuitement en freelance (c’est souvent le cas en médecine, et c’est mon cas actuellement).
Un projet de recherche est défini par une hypothèse particulière et une méthodologie prévue pour essayer de l’explorer : dans mon cas, j’essaie d’analyser les domaines de différentes traits de la personnalité en émettant l’hypothèse qu’ils intéragissent mutuellement.
Un projet se termine idéalement par l’écriture d’une publication scientifique, dans laquelle l’équipe de chercheurs explique la problématique initiale et le statut-quo des connaissances, montre ses résultats et en tire des conclusions.
Jusqu’au moment de la rédaction , la société a payé pour la publication des chercheurs une PREMIERE FOIS : le financement de la recherche fait en effet partie du budget.
L’équipe de chercheurs soumet donc la publication à une revue scientifique. Cette dernière reçoit l’article, et le renvoie à des experts du domaine de recherche en question pour démarrer le processus de “peer review” ou révision par les pairs. Les experts révisent le travail GRATUITEMENT (sont très rares les revues qui rémunèrent les experts pour la révision). Par exemple, j’ai déjà servi comme réviseur d’article à plusieurs revues : réviser un article est une tâche difficile qui occupe le plus souvent une journée entière de travail. Les scientifiques servant d’experts révisent les articles le week-end le plus souvent, ou en soirée.
Le plus souvent, l’article nécessite plusieurs révisions : à chaque fois, les experts révisent une nouvelle version de l’article et écrivent leur commentaires. Le processus de révision dure plusieurs mois généralement (parfois, des années).
La revue scientifique engage le plus souvent un comité d’éditeurs dirigé par un éditeur en chef (le plus souvent il s’agit de professeurs dans la discipline de la revue).
Au final, l’article peut être accepté ou réfusé. Bon nombre de revues demandent à ce moment une contribution financière non négligéable (entre plusieurs centaines à plusieurs milliers d’euros) aux auteurs de l’article pour publier l’article en question. Le laboratoire de recherche doit à ce moment payer la revue avec les fonds qui lui sont déstinés pour son fonctionnement (achat de matériel, etc.) pour publier l’article enfin accepté.
On comprend de suite que la revue gagnera pas mal d’argent par rapport à ses dépenses : la plupart du travail de la revue est fait gratuitement et l’équipe de chercheurs paie même la revue pour publier l’article.
La société paie donc à ce moment une DEUXIEME FOIS la publication de l’article de recherche.
Si tout ce qui précède ne vous a pas choqué, voici quelque chose qui va le faire :
lorsque les scientifiques essaient d’accéder aux articles publiés par leurs collèges, ceux-ci sont payants. Vous avez bien entendus : les chercheurs (et la societé en général) doivent payer pour accéder aux travaux de leurs confrères.
A ce moment la societé paie une TROISIEME FOIS le travail scientifique.
Il faut savoir aussi que, pour accéder à tout poste académique, il vaut toujours mieux publier. Publier beaucoup d’articles. Il faut donc élargir son CV avec des publications pour se mettre en avant par rapport aux autres : peu importe le contenu, la validation méthodologique, la réproducibilité des résultats, la réutilisation de ces derniers pour faire avancer les processus ! Il faut tout simplement publier.
Un courant profitant du système académique actuel est donc né : le courant des revues prédatrices.
Une revue prédatrice est une revue n’appliquant pas la révision par les pairs. Cette dernière se contente de faire payer l’auteur de l’article, et de partager l’article en accès libre.
Un exemple assez marrant des dérives de ces dernières est l’histoire d’un chercheur voulant sensibiliser au caractère antiscientifique des revues prédatrices en (ici) publiant un article complètement inventé sur l’influence de l’idéologie politique sur la main avec laquelle la personne se nettoie en allant aux toilettes. La revue a tout simplement publié l’article sans même y jeter un coup d’oeil. Ils n’ont même pas observé la prétendue affiliation de l’auteur (sous fausse identité), “Département de Sciences Politiques et Fécales”.
Le système de publications actuel est donc insoutenable d’un point de vue économique et est contreproductif pour la science.
C’est pour ceci que, quand le Center for Open Science (ici) a ouvert ses portes récemment, les chercheurs ont pu enfin partager leurs travaux ouvertement en montrant toutes les étapes de la publication (modification et traçage d’erreurs, etc). Les chercheurs d’autres universités aux quatre coins du globes peuvent détecter des erreurs et les communiquer à l’auteur, en faisant de la recherche un processus d’intelligence collective digne du 21ème siècle.
L’Open Science Framework est une initiative colossale qui changera la façon dont nous faisons de la recherche.
Entre temps, en Belgique, une belle mesure entreprise par le ministre de l’enseignement supérieur Marcourt (ici) , le decret Open access permet aux chercheurs belges d’accéder aux travaux de leurs confrères gratuitement.
Le reste du monde doit suivre : la recherche ne peut qu’y gagner.
( Publié également sur le blog de Giovanni Briganti )