Diplômée de l’UCL en 2014, le Dr Souhaila Ahmam a, après avoir effectué un assistanat de 2 ans dans une maison médicale au forfait, créé récemment le Centre Médical De Smet, situé chaussée de Ninove dans un quartier cosmopolite qui n’est certes pas parmi les plus huppés de Bruxelles, mais qui n’en respire pas moins la quiétude. Jeune mère, le Dr Ahmam nous fait part également de sa passion pour le métier de généraliste, un métier qui remplit sa vie malgré les profondes modifications liées à la pandémie qui ont quelque peu «déshumanisé» les contacts en raison du recours à la télémédecine.
Le cabinet est neuf, lumineux, situé sur la chaussée de Ninove, et donc soumis – mais sans excès – aux bruissements de la ville. Il abrite 4 médecins, ainsi que des kinésithérapeutes et des psychologues. Sa récente maternité a cependant conduit le Dr Ahmam, après concertation avec ses collègues, à adapter ses horaires pour le ramener à un mi-temps tout en continuant des consultations de l’Office de la naissance et de l’enfance dans les crèches de Saint-Gilles.
«Dans la mesure où je suis encore jeune dans le métier, ma patientèle est elle-même relativement jeune, souligne-t-elle. Par ailleurs, le quartier n’est pas riche. Il accueille beaucoup de primo-arrivants et recense beaucoup de femmes au foyer et d’enfants. Dans ce contexte, comme je parle arabe, ce qui est un plus dans ce quartier, beaucoup de mes patients sont d’origine maghrébine. Cela dit, mes origines ne sont pas la raison pour laquelle je me suis installée ici. Au départ, je souhaitais m’installer à Saint-Gilles, dans ma commune d’origine, mais je n’y ai trouvé aucun endroit satisfaisant pour installer un cabinet, alors que la maison où il se situe à présent en rez-de-chaussée correspond en tous points à mes attentes.»
La vie du Dr Ahmam va cependant changer prochainement car elle va ajouter à son programme un cabinet à Waterloo, dans un environnement très différent de celui où elle pratique actuellement.
Une passion pour le contact humain
C’est dès son adolescence que le Dr Ahmam a su qu’elle pratiquerait la médecine. Très orientée vers l’humanitaire, elle se rêvait Médecin du Monde et a entamé des études de médecine sans trop savoir vers quelle spécialité se diriger, même si la chirurgie collait à certaines de ses aspirations en parallèle à son admiration pour les médecins qu’elle voyait dans les séries télévisées à succès. «Mes stages hospitaliers m’ont cependant détournée rapidement de ces premières aspirations car je ne sentais aucune affinité avec la médecine hospitalière. Par après, le stage de médecine générale m’a vraiment conquise et je n’ai plus eu de doutes au sujet de mon avenir, car le contact humain y était omniprésent.»
À côté de ce contact humain, l’absence de hiérarchie et la grande liberté d’organisation de son activité sont les deux autres aspects qui ont séduit le Dr Ahmam dans la médecine générale. «J’estime, dans ce contexte, que la médecine générale est une activité professionnelle qui colle parfaitement à la vie d’une femme.»
Pratiquement, elle débute aujourd’hui ses consultations vers 10 heures, ce qui lui permet d’assurer en toute quiétude le réveil et le début de journée de son fils, consultations qu’elle termine vers 13h30 avant d’assurer deux après-midis par semaine un suivi dans les crèches sous sa responsabilité. «Ma patientèle étant jeune, je n’ai quasiment pas de visites à domicile à assurer», poursuit-elle.
De multiples rôles à jouer
Si le rôle premier du généraliste est de soigner les patients qui le consultent, il est loin d’être le seul. «Accompagner les patients dans leur parcours de soins, les écouter lorsqu’ils ont des problèmes personnels, médicaux ou de famille, leur apprendre la prévention, les aider dans leurs pérégrinations médicales et sociales, traduire et réexpliquer les informations apportées par les spécialistes pour qu’ils puissent les comprendre et les assimiler, les rassurer (c’est souvent le cas pour l’instant avec la pandémie) et donner de la clarté à l’actualité… sont autant d’activités qui font que la médecine générale a beaucoup de facettes qui dépassent le seul cadre médical.»
Si elle pratique toujours la médecine comme aux premiers moments, le Dr Ahmam avoue cependant avoir appris la patience avec le temps. «Je ne me précipite plus et prends le temps d’analyser toutes les composantes des problèmes qui me sont présentés, une attitude d’autant plus facile à respecter en maison médicale que l’on discute facilement entre nous des problèmes rencontrés avec nos patients et qui me permet parfois d’entrevoir d’autres solutions que celles que j’avais envisagées. Pratiquement, je suis passée d’un mode de travail evidence-based à un mode plus experience-based et donc plus souple.» Cette méthode de travail se traduit notamment par un moindre recours aux examens complémentaires, ainsi que par plus de temps passé à donner des explications sur la maladie, le traitement (le fonctionnement des puffs par exemple) ou le suivi des symptômes.
Une médecine générale qui doit garder son identité
Le médecin généraliste restera toujours en 1ère ligne. «Dans ces conditions, souligne-t-elle, il ne faut pas nous cantonner au préventif. Chez le jeune par exemple, même si nous pouvons avoir une action préventive par le biais de certains conseils, on se situe la plupart du temps dans le curatif immédiat: une angine, une bronchite, un traumatisme… Par ailleurs, les rapports avec mes collègues sont primordiaux, et j’apprends beaucoup d’eux, ce qui souligne que la médecine générale ne pourra dans l’avenir être que participative.»
Quant aux spécialistes, elle avoue n’avoir que des rapports la plupart du temps épistolaires et regrette la difficulté de les atteindre pour pouvoir évoquer en direct la problématique d’un patient. C’est le cas par exemple en psychiatrie, mais ce n’est pas la seule spécialité en cause. «Comment mettre cette communication en route est une autre question qui ne dépend pas que de la médecine générale», regrette-t-elle. Cela dit, si dans sa formation elle avoue avoir dû ingurgiter beaucoup de théorie, «il faut reconnaître que l’essentiel de la médecine générale s’apprend sur le terrain, au contact du patient: comment traiter une aphtose par exemple, comment prescrire, comment expliquer un traitement, à quel rythme suivre le patient avec ses particularités, que signifie un symptôme dans le contexte du patient, quel logiciel utiliser et comment…, sont autant de situations qui ne nous sont pas expliquées dans les livres, ni au cours, mais que nous découvrons au jour le jour. Fort heureusement, le stage de médecine générale, et ensuite l’assistanat permettent de se construire un petit bagage personnel.»
C’est dans ce contexte que si elle pouvait retourner en arrière, le Dr Ahmam gérerait autrement son assistanat en médecine générale, notamment en ne se limitant pas à un seul lieu, de manière à pouvoir se confronter à d’autres pratiques. À part ce «bémol», elle ne regrette rien de son parcours et estime plus que jamais que la médecine générale est le plus beau des métiers, tout en gardant au fond d’elle-même le souhait de pratiquer de la médecine humanitaire.
Savoir que l’on ne se sait pas
L’humilité est partie intégrante de la médecine générale, et savoir où placer la limite de son savoir est une exigence au quotidien. «Mais on ne nous apprend pas cela à l’université, où l’on essaie de faire de nous des personnes qui savent beaucoup sur beaucoup de choses sans nous permettre d’aller à l’essentiel.»
Malgré cela, Souhaila Ahmam voit son avenir en médecine générale «jusqu’à la retraite», mais en souhaitant que la médecine générale soit plus impliquée dans la politique de santé. La féminisation de la médecine générale entraîne également une modification des méthodes de travail en privilégiant les cabinets de groupe, certainement dans les villes. «Reste à savoir comment pourra évoluer la médecine dite de campagne», remarque-t-elle. À côté de cet aspect communautaire de la médecine, son souhait est de voir valorisés et rendus plus attractifs les actes techniques en médecine générale, notamment les échographies, et de permettre à la médecine générale d’élargir son horizon et ses activités.