L’intelligence artificielle (IA) ne cesse de suivre son infiltration exponentielle dans les différents domaines de la médecine, à la fois via l’avancement des sciences fondamentales la concernant et via des avancées spécifiques dans certaines spécialisations. Au moment où se clôture la semaine belge de l'intelligence artificielle, cet article a pour but de faire le point sur la situation de l’IA médicale en 2021.
Les principaux domaines de l’IA médicale en clinique sont la prévention/prédiction, le diagnostic et le monitoring/soi quantifié. Cependant, de nombreux autres domaines existent, notamment l’aide à la décision clinique, l’IA appliquée à l’informatique médicale (traitement automatique du langage naturel, intelligence clinique ambiante), et l’IA pour la recherche médicale (par exemple dédiée, à la découverte de médicaments ou modélisation des maladies).
En ce qui concerne la prédiction, l’année 2020 marquée par la pandémie COVID-19 a aussi été caractérisée par une explosion du nombre d’article proposant des modèles prédictifs d’un diagnostic COVID-19 ou de complications liées à l’infection : au moins 37.000 en 2021, pour être précis, qui ont été évaluées méticuleusement (et sont ré-évalués chaque fois qu’un nouvel article est publié) par une équipe de chercheurs menée par Laure Wynants (KULeuven – Université de Maastricht) : la qualité de ces modèles est hautement fluctuante, et seuls une poignée (20 à 130) peuvent effectivement prédire des aspects de la maladie . En dehors de la pandémie, chaque jour, plusieurs milliers d’articles sont publiés essayant de prédire l’une ou l’autre manifestation médicale. Ces modèles sont parfois explicables, mais sont souvent des « boîtes noires », c’est-à-dire qu’ils correspondent fort aux données de départ mais on ne sait pas exactement comment.
Des outils diagnostiques de plus en plus avancés
Cette tendance n’est pas anodine : elle s’explique par un besoin spécifique venant des cliniciens, qui souvent n’ont pas besoin de savoir comment un modèle marche exactement, pourvu qu’il soit capable de prédire un évènement adverse ou un diagnostic : les besoins se détachent donc de plus en plus du raisonnement dicté par la statistique classique (faite de conditions et de cas d’usage) pour évoluer vers des modèles plus complexes et fourre-tout, même si peu compréhensibles, tels que proposés par les techniques dites d’IA. À leur tour, les modèles prédictifs permettent la création d’outils diagnostiques de plus en plus avancés, et ce dans différents domaines (radiologie, biologie clinique, neurologie, cardiologie, gastroentérologie). Les modèles prédictifs et outils diagnostics soutiennent les nouvelles technologies de monitoring, permettant à l’individu (et son médecin ou centre hospitalier) d’avoir sous contrôle à tout moment toute une série de paramètres et variables corporelles. En 2021, les « wearables », vaisseaux technologiques des outils de monitoring, sont désormais capables de : mesurer la tension artérielle, effectuer un ECG, un EEG, d’évaluer la respiration et la saturation en oxygène, de mesurer la température corporelle, d’évaluer la vision et les mouvements, ainsi que de détecter et reporter des anomalies dans ces domaines (en fait, quasi tous). Tous les exemples précités ont des contreparties validées par l’organisation de contrôle et validation américaine FDA.
Remettre l’approche scientifique au centre de l’innovation
Cependant, le domaine est, presqu’à son insu, freiné par la quasi-totale absence d’essais cliniques relatifs aux outils. Nous sommes souvent incapables de déterminer si ces outils offrent une valeur ajoutée en termes de survie ou de qualité de vie ou de soins supérieure à la non-utilisation, et si la méthodologie et le design sont pertinents: il y a un réel besoin donc de remettre l’approche scientifique au centre de l’innovation en IA, et en territoire européen, ceci n’est possible que si l’industrie collabore étroitement avec les universités et centres hospitaliers, via des normes gouvernementales, en résolvant le problème de mise à disposition des données et les enjeux éthiques.
Le milieu hospitalier manque d'expertise
D’un point de vue organisationnel, les hôpitaux européens ne disposent pas des armes nécessaires pour approcher l’évolution IA. Les centres les plus innovants en sont au point de définir une stratégie (définir les cas d’application) et s’apprêtent à démarrer les étapes cruciales relatives au financement et la motivation et sensibilisation du personnel (je ne sais pas laquelle des deux est l’étape la plus dure). Les autres, eux, restent dans un état d’indifférence. Dans tous les cas, le manque d’expertise médicale et managériale dans le sujet de l’intelligence artificielle se fait de plus en plus ressentir, ce qui soulève la question du besoin de formation universitaire et non. Au sens plus large, le monde politique est peu au courant de la problématique et manque, comme le milieu hospitalier, des expertises nécessaires.
Une semaine belge de l'intelligence artificielle
Tous ces aspects sont abordés lors de la Semaine Belge de l’Intelligence Artificielle organisée par Nathanael Ackerman, directeur d’AI4Belgium qui s'est tenue du 15 au 19 mars . Spécifiquement notre groupe de travail AI4Health va présenter les premières tendances du Baromètre de l’IA réalisé en collaboration avec Le Specialiste et le cabinet EY. Un symposium digital présentera l’ensemble des résultats fin avril, début mai. Un dossier spécial sera également édité dans Le Spécialiste et NumeriKare
2021 sera l'année de projets concrets
En conclusion, on se rend compte maintenant de l’immense potentiel de l’IA en médecine, et surtout de l’IA clinique. Mais ce potentiel doit être évalué, analysé et intégré dans des choix stratégiques à la fois au niveau institutionnel et national voir international. Les institutions ont, elles, besoin d’accompagnement par la poignée d’experts présents sur le territoire. En Belgique, c’est AI4Health au sein d’AI4Belgium qui mène la danse sur le débat de l’intégration de l’IA dans la pratique clinique. Dans ce sens, 2021 sera l’année des lancements d’initiative et de projets concrets : la Belgique commence enfin à accélérer dans un débat qui court à la vitesse de la lumière.