Dans un long entretien sans tabou avec Le Spécialiste et Medi-Sphere, le Dr Philippe Devos s’est ouvert à ce qui l’a amené à démissionner de l’ABSyM et en profite pour faire un premier bilan de sa présidence.
Voilà un peu plus de 24 h que Philippe Devos, président de l’Absym a démissionné. Il poursuit évidemment son travail et prépare ses réunions. « Je savais bien que ma présidence serait difficile. » Il prend quelques minutes pour faire le point. « J’ai travaillé plus de 80 h par semaine. Je n’ai jamais eu un jour où j’ai pu arrêter de travailler avant minuit. Je me levais très tôt pour poursuivre les dossiers. Dans ma présidence, j’ai lu plus de 250 pages par jour. »
Le constat est implacable. Comment pourrait faire le prochain président ? Faut-il une double présidence pour alléger la charge de travail ? Quelles solutions ?
« Deux choses ont été validées par le CA de l’Absym il y a quelque temps. Je ne pouvais juste plus attendre que ces deux éléments se mettent en place. La première a été validée il y a peu : engager un directeur de l’Asbym. Un non-médecin, bilingue avec un profil de science politique ou HEC qui fait le rôle de chef de cabinet qui instruit les dossiers, qui les prépare, qui va aux réunions préparatoires à la place du médecin. Le Président-médecin va juste à la réunion finale. Il faudra aussi permettre au syndicat d’envoyer un non-médecin à certaines réunions pour représenter les médecins. Plusieurs arrêtés royaux ne permettent pas ce cas de figure. »
Vous avez un budget prévu pour un tel profil ?
« Il faut trouver la perle rare. Il nous faut trouver de l’argent pour le payer. L’Inami et le SPF santé et le ministre doivent assumer leur choix. La médecine est une enveloppe de 8 milliards d’euros et elle mérite un financement juste du syndicat....surtout quand on voit que les hôpitaux demandent de l’argent en plus pour la coordination des réseaux. Le sous-financement majeur des syndicats médicaux ne permet pas aux médecins de travailler efficacement. »
Vous aviez annoncé vouloir déléguer. Impossible ?
«Il faut un management participatif avec un président "manageur coordinateur". Je l’avais dit quand je suis devenu président. Il faut une dizaine de coordinateurs avec des thématiques précises. J’ai voulu le lancer...mais un certain nombre d’intervenants (mutuelle, Etat...) ne veulent parler qu’avec le président. Ils ne comprennent pas cette logique de délégation. C’est insensé. Il faut aussi donner plus d’agilité à la représentation des syndicats dans certaines commissions où l’on est nommé pour 4 ans ou plus. »
Vous avez dû faire face à un manque aussi de personnes qui ne veulent pas s’investir
« Les candidats ne se bousculent pas au portillon. Certains sujets attirent les foules comme la télémédecine...mais le financement hospitalier attire moins les foules. On sent le manque de vocation des jeunes et c’est une inquiétude pour l’avenir de la profession. C’est le meilleur moyen pour, qu’à terme, des gens qui ne connaissent pas le métier de médecin décident pour les médecins. C’est dangereux pour l’humanisation de la médecine et la qualité des soins. »
Avez-vous eu des conflits internes pendant votre présidence ?
«J’ai proposé une présidence en rupture. On est passé d’un système pyramidal à un management par la base. Certaines l’ont bien vécu, d’autres pas. Je n’ai pas eu de gens qui cherchaient à me nuire. Mais j’ai mis sur la place publique en conseil d’administration des questions tabous pour lesquelles, avant, le président décidait seul : comme l’indexation généralisée des honoraires, la juste rémunération horaire d’un médecin, la comparaison entre les différentes spécialités au niveau du salaire horaire (il y avait une frustration de certaines spécialités moins bien rémunérées), les relations avec les directions hospitalières, les pressions et le protectionnisme des directions hospitalières avec les laboratoires et l’imagerie (certains médecins sont prisonnier des directions hospitalières)... Je voulais évoquer tous ces tabous. Nous sommes à la veille d’une réforme majeure des honoraires. Nous devions donc aborder toutes ces questions et connaître la position de l’Absym. Je voulais un mandat pour négocier à travers une position du CA et pas juste la position du Président. Tout cela prend plus de temps : un spécialiste ne comprend pas toujours la réalité de terrain d’un généraliste et inversement. »
Cela a provoqué des tensions ?
« Inévitablement, il y a eu du lobbying de spécialistes ou de généralistes suivant les dossiers. C’est sain, cela prouve que la démocratie fonctionne. Chacun défend une partie de sa médecine. Les quotas (Flamands/francophones, Spécialistes/généralistes) amènent toujours les gens qui sont élus à défendre leur quota. Alors, l’intérêt général et collectif est perdu par les intervenants. Il ne reste que le président qui est asexué et hors quota. Le président se retrouve donc parfois seul à défendre l’intérêt collectif et se bat contre les clivages dont je comprends la logique. Certains perdent de vue l’intérêt général. J’ai donc toujours voulu réfléchir à partir de trois axes pour être le plus objectif possible : la qualité des soins, le bien-être du médecin et le résultat sur le patient.»
Vous avez connu en plus la crise sanitaire...
« Le Covid a nécessité un investissement supplémentaire pour nous tous. Par ailleurs, l’article de blog que j’ai écrit, et où j’ai eu raison, m’a amené un surcroît de médiatisation important. Cela a été difficile à vivre pour ma famille et mes enfants qui sont les enfants du docteur de la TV. Certains ont même été jusqu’à poser des questions sur la crise covid à mon épouse. Par ailleurs, nous avons aussi dû gérer le passage en budget trisannuel qui est idéal pour donner des perspectives en terme de santé publique... mais qui nous a donné plus de travail encore évidemment. Cela s’ajoute au suivi de la crise du covid, à l’avancement du dossier de la télémédecine, à la réforme des honoraires....Sans oublier, à mon niveau, évidemment, le déménagement, en pleine crise covid, du CHC où je suis président du Conseil médical »
Vous avez aussi été frappé par les inondations ?
“Rien ne m’aura été épargné! Mes parents ont eu 80 cm d’eau dans leur rez-de-chaussée. ”
Vous allez rester engagé ?
« Je vais rester dans les commissions où j’ai des mandats légaux qui m'empêchent d’être remplacé. Je m’investirai avec la même énergie. Notamment ce jeudi à la commission médecin-hôpitaux qui va parler du nouveau statut des assistants. J’y serai. Les assistants ont besoin de tout le soutien possible face aux hôpitaux qui tentent encore de renégocier. Ce n’est pas le moment de les lâcher. »
Votre plus belle réussite ?
« Même si les avancées ne sont pas révolutionnaires, c’est la première fois qu’une convention paritaire est signée en faveur des médecins-assistants. Je sais que ma présidence a permis ces avancées. À titre personnel, c’est l’aboutissement du dossier dont je suis le plus fier. Nous disons aux jeunes : « vous êtes importants, vous êtes l’avenir de la médecine »
Si tous les membres du Cimacs pouvaient rejoindre l’Absym dans l’avenir, je signerais à deux mains. »
Une phrase qui résume votre décision ?
« Mardi matin, ma fille (je n’avais pas encore pu lui dire) a entendu à la radio que j’avais démissionné et elle m’a pris dans ses bras et elle m’a dit merci. »
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