La publication d’un premier recueil de poèmes est toujours un événement dans la vie de qui se sent poète. C’est le cas de Suzy Cohen avec « Identités plurielles » paru récemment aux belles éditions Bleu d’encre…
Suzy Cohen a de multiples talents : elle peint, elle dessine, elle chante, elle accueille, elle expose,… Elle écrit comme on chante puisqu’il s’agit chez elle du croisement d’un lyrisme de l’enchantement d’être au monde et, en soubassement, des échos d’une partition historique et familiale tragique liée à la Shoah où elle a perdu sa grand-mère numérotée comme elle l’écrit si pudiquement.
« Identité plurielles » a beaucoup à nous dire et le fait bellement au fil des chants et des murmures qui sont les échos majeurs d’une vie cosmopolite. Le dessin de couverture qu’elle nous offre représente un arbre aux ramures abondantes et aux racines fortes comme des artères.
L’arbre est une constante dans la poésie de Suzy Cohen mais elle sait aussi que si les arbres marchent c’est grâce au vent, aux oiseaux et autres animaux qui transportent leurs graines dans d’autres lieux.
Dissémination et pérégrination donc, autant qu’enracinement….Le lyrisme de Suzy Cohen n’est pas fondé sur cette sorte de béatification de la mollesse d’une part de la littérature contemporaine, non, il est fort, projeté vers l’infini des lecteurs . Ce lyrisme est une façon, contradictoire peut-être, de dire la pudeur de l’étonnement d’être déjà là et encore là. Elle nous écrit le bonheur de pouvoir aimer, encore et toujours, mais elle n’est pas dupe, les différentes sources d’inspiration, qui sont les sentiers, ravines et gouffres des origines se mêlent dans cette pluralité des sources, des expériences et des mémoires.
Née au Maroc, à Fez, où elle a vécu au pied d’un bel amandier, écrit-elle, elle a travaillé et habité dans de nombreux pays et continents
Ce mot, identité, ce concept, cette réalité apparaît d’une évidence presque tautologique aujourd’hui alors que nous savons que ce XXIe siècle, plus que jamais, sera le siècle des exodes, des exils et des mutations brutales que le climat, la globalisation et l’accélération de la violence financière et économique fabriquent chaque jour, à chaque instant, de façon de plus en plus complexe et agressive, sous le sourire béat des révolutionnaires de réseaux et autres boîtes à indignations programmées.
Quelles soient singulières, meurtrières, collectives, globales, intimes, les identités sont des palimpseste et celle ou celui qui en revendique une seule fait preuve probablement d’une singulière niaiserie.
Les identités plurielles de Suzy Cohen ne sont pas des identités multiples. Il y a dans le pluriel, le phénomène du faisceau, du réseau, des rhizomes qui s’entremêlent afin de mener à terme le jaillissement du vivant et de la culture. Si on en revient à cette dimension plurielle des identités que revendique Suzy Cohen dans son livre, on pourrait penser, et nous le souhaitons, que les expériences et les poèmes qu’elle nous livre sont des manières de tresser les brins d’une corde qui n’existerait sans ce tressage de fibres, chacune si fragile alors que le pluriel tient dans la qualité du tressage, d’autres diront du métissage.
Composé en cinq mouvements, le livre recèle des épiphanies modestes et majuscules…
J’ai la mer en moi
Avec ses ressacs
Ses envoûtements
J’ai la mer en moi
Avec ses tempêtes
Son sel
J’ai la mer en moi
Elle m’emporte
Dans des torrents de délires
Elle me ramène calme
Sur la rive
Pour redériver encore et encore
L’auteure livre, presque en conclusion de son recueil, ce texte d’une simplicité et d’une évidence redoutables…
Pour s’aérer
Mieux vivre ce monde
Je ne vois que la musique
Ou la lecture
La littérature se dresse
Face a l’abîme
Alors que l’Histoire
S’y vautre
Suzy COHEN, Identités plurielles, Bleu d’encre, 2022, 109 p., 14 €, ISBN : 978-2-930725-54-3