Le docteur Alex Mottrie a réalisé un véritable tour de force en créant à Melle un centre de formation à la chirurgie assistée par robot, baptisé Orsi, qu’il entend à présent développer pour en faire un pôle de renommée mondiale. Jusqu’ici, le projet semble plutôt bien parti. Il nous expose sa vision.
"Notre but est d’endosser un rôle central à l’échelon européen et mondial afin d’améliorer les formations; nous voudrions notamment réduire le taux de complication d’environ 50 %. "
Aux États-Unis, on estime en effet à 180 milliards de dollars le coût annuel global de la chirurgie et à 41 milliards celui des réadmissions, dont une part non négligeable sont dues à des complications. Autant dire qu’une formation de qualité ouvre la perspective d’économies non négligeables!
La cure de hernie inguinale, par exemple, est associée à un risque de 17 % de complications mineures ou majeures. Nous devons faire mieux, plus sûr et moins agressif, et ce par le biais de trois mesures:
1 – ne plus travailler ‘à la grosse louche’. Il est aujourd’hui possible d’opérer d’une manière plus sûre et moins invasive grâce au recours à diverses innovations telles que les robots, le guidage par imagerie 3D, l’identification des tissus, la fluorescence, l’intelligence artificielle, etc.
2 – porter notre formation à un niveau supérieur grâce à la méthode de la progression basée sur les compétences (proficiency based progression), sous la guidance du Pr Tony Gallagher (université de Cork, Irlande), où chaque opération est minutieusement définie en plusieurs étapes. Ce mode de formation en-dehors du bloc opératoire n’utilise pas le patient comme un objet pour s’exercer et débouche ultérieurement sur un taux de complications inférieur de 50 % environ.
3 – centres à haut volume d’activité: plus le bagage, les connaissances et les compétences sont importants, mieux cela vaut! Un exemple très médiatisé tiré du secteur de la navigation aérienne est celui de ce pilote forcé d’atterrir dans la rivière Hudson – un exploit qu’il réalisait pour la première fois ‘en vrai’, mais auquel il s’était déjà entraîné 38 fois sur un simulateur. La gestion des complications (ou l’entraînement aux compétences non techniques) peut donc parfaitement se faire sans recours au corps humain.
Des robots rentables
1 – À l’échelon purement micro-économique, celui de l’hôpital, un programme de chirurgie robotisée n’est pas rentable, l’appareil étant relativement coûteux et le remboursement insuffisant. D’un point de vue macro-économique (celui des soins de santé dans leur ensemble), la chirurgie assistée par robot est par contre tout à fait rentable à condition que l’appareil soit utilisé au minimum 130 à 150 fois par an. Les interventions réalisées grâce à ces outils technologiques débouchent sur des incapacités de travail et des hospitalisations plus courtes, moins de pertes de sang, moins d’antalgie, moins de langes et de médicaments après chirurgie de la prostate… Au sein d’Orsi, nous voulons démontrer que des technologies médicales innovantes améliorent les soins aux patients et donc les soins de santé. Au final, cette approche est en outre moins chère, à condition du moins de ne pas se focaliser uniquement sur le tableau micro-économique.
2 – Au travers de l’écosystème de l’Orsi Academy, nous voulons standardiser, valider et certifier la formation des jeunes médecins à l’échelon européen. Nous avons ainsi été les premiers à valider un programme de formation à l’échelon mondial dans le domaine de la chirurgie (et plus spécifiquement de la chirurgie assistée par robot dans le traitement du cancer de la prostate), réparti sur 39 centres de formation à haut volume d’activité. Pour la toute première fois, il existe ainsi une formation et une évaluation uniformes partout en Europe et même dans le monde. Les chirurgiens sont évalués sur la base d’une opération enregistrée par leurs soins, qui est ensuite jugée en aveugle par des experts.
3 – Grâce à l’intelligence artificielle et à l’apprentissage machine, nous avons la possibilité d’élaborer un système prédictif en nous appuyant sur notre vaste base de données des ablations de tumeurs rénales assistées par robot. Celui-ci doit être validé via Orsi. Nous pouvons ainsi démontrer que nous sommes en mesure d’évaluer le risque de complications avant de réaliser l’intervention, telle tumeur étant plus grande ou plus difficile à retirer que telle autre. Nous avons lancé une étude en collaboration avec la fondation Vattikuti, dans le cadre de laquelle ces données sont automatiquement intégrées et utilisées pour apporter un feedback au chirurgien.
4 – Des progrès devraient également être enregistrés sur le plan des coûts lorsque se terminera le monopole du robot Da Vinci. Dans les années à venir, dix à quinze nouveaux types de robots devraient faire leur apparition sur le marché, et ce dans le domaine non seulement de la chirurgie classique, mais aussi de la pneumologie invasive, de la pose de cathéters endovasculaires, de l’ORL, etc. De ce fait, la chirurgie devrait connaître au cours de la décennie à venir des mutations plus profondes qu’au cours des 100 dernières années.
5 – Reste-t-il encore une place pour le chirurgien lui-même ? L’ordinateur sera un jour le plus intelligent des médecins, mais ce n’est pas encore pour tout de suite. À ce stade, aucune machine n’est par exemple encore capable d’identifier des tissus. De grands changements nous attendent toutefois, en particulier sur le plan des diagnostics. On nous annonce par exemple pour bientôt un bronchoscope robotisé qui pourrait bien être plus efficace qu’un médecin en chair et en os, parce qu’il a plus de chances de parvenir à prélever une biopsie dans une lésion pulmonaire (93 vs. 65 %). Or, on le sait, une biopsie représentative est très importante pour le choix du traitement et peut donc avoir des répercussions majeures sur l’évolution ultérieure du patient.
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