La Haute autorité de santé française (HAS) a été chargée par la Ministre des Solidarités et de la Santé de définir les situations cliniques, champs et publics pour lesquels les actes de téléconsultation et de téléexpertise devraient être exclus. L'objectif de cette mission est de permettre la réalisation des actes de téléconsultation et de téléexpertise dans des conditions de sécurité et de qualité optimales. Les conclusions sont attendues pour la fin du premier trimestre 2018.
Pour définir la pertinence des parcours de soins, la HAS délivrait jusqu'à présent des recommandations de bonnes pratiques cliniques. Avec la télémédecine, la HAS inaugure une nouvelle méthode en élaborant des recommandations d'exclusion d'actes de téléconsultation et de téléexpertise dans certaines situations cliniques.
Cette démarche s'inscrit toutefois dans le périmètre de la négociation conventionnelle arrêté par les pouvoirs publics et la CNAMTS. La téléconsultation par vidéotransmission et la téléexpertise ne devraient concerner que les patients atteints d'affections de longue durée (ALD) ou vivant dans les zones sous-denses en médecins, soit environ 15 millions de français. Ces pratiques de télémédecine doivent s'intégrer à un parcours de soins piloté par le médecin de premier recours et être réalisées à partir d'un cabinet médical ou d'une maison ou centre de santé.
Comment aborder la question de la pertinence des pratiques de télémédecine, en particulier de la téléconsultation et de la téléexpertise ?
Il est vrai que la télémédecine et la santé connectée sont à l'origine de nombreuses pratiques professionnelles innovantes. Toutes ces nouvelles pratiques sont-elles pertinentes ? Apportent-elles un véritable service médical aux patients ? (...) Nous pensons, par exemple, que la téléconsultation par videotransmission est plus pertinente, car plus humaine, que celle par téléphone, pratique qui relève plûtot du téléconseil médical.
L'usage de la télémédecine doit-il répondre à un besoin d'amélioration de l'accès aux soins ou tout simplement à une demande de la société qui souhaite modifier son mode de relation avec les médecins ? Devons-nous accepter la substitution de la consultation en face à face par une simple téléconsultation, notamment en cas d'affection aiguë ou de renouvellement d'ordonnance pour une affection chronique ? Sur ces questions et d'autres, la HAS devra apporter des réponses.
Il n'est pas certain que la revue de la littérature scientifique internationale, méthode habituellement utilisée par la HAS, soit très éclairante, car la plupart des publications ne distinguent pas la télémédecine clinique (pratique professionnelle) de la télémédecine informative (service de la société d'information relevant du e-commerce). Or la médecine de culture française est attachée à la clinique, concept créé en France il y a plus de deux siècles, alors que la médecine de culture anglaise ou américaine est plus informative que clinique.
La médecine française traditionnelle du XXème siècle ne considérait le besoin de consultation médicale que lorsque des signes physiques anormaux témoignaient de l'apparition d'une maladie, lesquels nécessitaient la mise en route de bilans complémentaires ou d'une thérapeutique immédiate. Il y a une quarantaine d'années, une consultation auprès de son médecin traitant pour un check-up médical n'était pas considérée comme pertinente, de même que les "visites" médicales au domicile de patients pour de simples contrôles de la tension artérielle n'étaient pas considérées par l'assurance maladie obligatoire (AMO) comme des pratiques qui justifiaient un remboursement. Nous étions dans une période où seuls les actes curatifs avaient une prise en charge financière par l'AMO et non les actes préventifs. Le dépistage et la prévention par check-up étaient cependant offerts aux citoyens qui le souhaitaient dans des centres de santé de la Sécurité sociale.
A l'ère des maladies chroniques, le besoin de consultations régulières, visant à prévenir ou à dépister les complications de la maladie, n'est plus contesté. Pour de nombreuses maladies chroniques, la HAS a élaboré des recommandations pour que le parcours de soins soit conforme aux données actuelles de la science médicale. Les téléconsultations peuvent renforcer le parcours de soins lorsqu'elles sont alternées avec des consultations en face à face.
Mais quel est alors le nombre nécessaire de consultations et de téléconsultations pour qu'une prise en charge soit pertinente et optimale chez un patient atteint d'une maladie chronique ? Comme l'annonce la Ministre depuis quelques jours, ce nombre pourrait finalement relever d'une tarification forfaitaire au parcours de soins. Il faut cependant que le médecin garde la liberté du choix et du nombre de téléconsultations.
A une époque où aucun médecin ne peut prétendre connaître toute la médecine, il faut favoriser la téléexpertise entre professionnels de santé, cette pratique ayant l'avantage de conforter ou d'ameliorer les connaissances académiques. C'est la fonction apprenante de la téléexpertise. Il faut permettre au médecin traitant de premier recours, qui a en charge la coordination des soins d'un patient atteint d'une maladie chronique, de contacter les médecins spécialistes experts dont il a besoin, sans limitation du nombre. De plus, ces téléexpertises peuvent remplacer certaines consultations en face à face auprès du médecin spécialiste et permettre à ce dernier de voir plus rapidement les patients dont la consultation en face à face est justifiée.
La compétence d'un médecin est en grande partie liée à son expérience. Plus un médecin de premier recours est jeune dans le métier, plus il demandera de téléexpertises aux spécialistes, là où un médecin plus âgé et expérimenté en demanderait moins. Il ne faut donc pas mettre dans le financement du parcours de soins structuré par la télémédecine de limites à la pratique de la téléexpertise. Les demandes de téléexpertises sont toujours pertinentes. Leur nombre se régulera avec la progression des compétences et de l'expérience, comme cela a bien été démontré en télédermatologie, en télédiabétologie ou en télénéphrologie.
Enfin, un nouvel acteur "téléexpert" apparaitra bientôt auprès des médecins : le système d'aide au diagnostic médical qu'assurera le traitement des big data en santé par les algorithmes de l'intelligence artificielle.
Existe-t'il des situations cliniques où l'usage de la téléconsultation ne serait pas pertinent ?
La saisine de la Ministre demande à la HAS de définir des situations cliniques où l'usage de la téléconsultation ne serait pas pertinent et qui devraient être exclues du champ de la téléconsultation remboursée par l'AMO.
La réponse à cette question peut se révéler assez difficile ou ambiguë, car pour une même situation clinique, l'usage de la téléconsultation peut se révéler pertinent ou non pertinent en fonction du contexte, du lieu géographique, du public, etc.
Est-ce que la téléconsultation est pertinente dans une situation clinique aiguë, jugée sévère ?
Oui, si la personne est isolée, par exemple à l'Outre-mer, et que la décision d'une évacuation sanitaire doit être prise. La téléconsultation aide le professionnel médical à juger de l'opportunité et des conditions de l'évacuation sanitaire.
Non, si la personne peut être acheminée rapidement vers un médecin pour être examinée. Généralement, toute situation aiguë jugée sévère relève d'un examen médical physique, et la téléconsultation peut créer un retard à la prise en charge préjudiciable au patient. A part quelques exemples comme le télé-AVC ou des circonstances particulières à l'Outre-mer, la télémédecine n'est pas un moyen de répondre à une urgence vitale.
La téléconsultation avec un médecin urgentiste pour savoir s'il est pertinent de faire venir aux urgences hospitalières un résident en maison de repos ou MRS en situation de détresse cardio-vasculaire ou respiratoire pourrait s'avérer une pratique médicale difficile ou risquée, à l'origine de plaintes de famille si la décision médicale de ne pas transférer aux urgences était suivie d'une évolution défavorable, sauf bien évidemment s'il s'agit d'une fin de vie attendue par l'entourage du résident. Evaluer à distance par téléconsultation une situation d'urgence vitale chez une personne âgée reste d'une grande difficulté. Le désir légitime d'un médecin urgentiste de ne pas faire d'acharnement thérapeutique pourrait être interprétée par l'entourage familial comme une non-assistance à personne en danger.
Est-ce que la téléconsultation est pertinente dans une situation clinique aiguë jugée bénigne ?
Oui, lorsque le système de téléconsultation par videotransmission est suffisamment équipé d'objets connectés fiables et sécurisés qui mesurent la température, la tension artérielle, le poids, et qui examinent à distance le tympan, le pharynx, les téguments, etc. On est généralement devant une affection infectieuse aiguë de type viral dont les traitements sont limités à quelques médicaments qui maitrisent la fièvre et les douleurs.
Non, lorsque cette affection d'allure bénigne survient chez une personne âgée atteinte de plusieurs maladies chroniques. Par exemple, un état grippal chez une personne âgée peut engranger des complications graves qu'une téléconsultation ne pourra pas dépister ou évaluer.
Est-ce que la téléconsultation est pertinente dans les zones en sous-densité médicale ?
Oui, lorsque la personne très âgée ou handicapée ne peut se déplacer jusqu'au cabinet médical. Des lieux de téléconsultation proches du domicile, comme dans une pharmacie d'officine ou dans une MRS, permettraient à ces personnes âgées et handicapées d'accéder à leur médecin traitant, les rendez-vous auprès du médecin traitant étant pris par le pharmacien d'officine ou le cadre infirmier de la maison de repos.
Non, lorsque la personne valide peut se rendre en voiture au cabinet médical et qu'elle n'a pas de problème d'accessibilité à son médecin traitant.
Est-ce que la téléconsultation auprès d'une plateforme est pertinente lorsque le médecin traitant n'est pas disponible ou accessible ?
Oui, lorsque la téléconsultation se réalise par vidéotransmission et que le médecin de la plateforme adresse au médecin traitant le compte rendu de cette téléconsultation, notamment par l'intermédiaire du Dossier médical partagé (DMP). De même, le DMP pourra être consulté par le médecin de la plateforme en cas d'appel d'une personne traitée pour une maladie chronique. Les plateformes de téléconsultation peuvent s'intégrer à un parcours de soins à condition qu'elles collaborent avec les médecins traitants. Elles peuvent désengorger les services d'urgences.
Non, lorsque la téléconsultation auprès d'une plateforme n'est pas réalisée par videotransmission ou que le compte rendu n'est pas adressé au médecin traitant. Une plateforme médicale purement téléphonique ne peut donner que du téléconseil médical.
Ces quelques exemples peuvent illustrer l'esprit de la démarche actuelle des pouvoirs publics. Ceux-ci veulent, d'une part "accrocher" les pratiques de téléconsultation et de téléexpertise au parcours de soins des patients, d'autre part, redonner au médecin traitant de premier recours toute sa place dans la coordination de ce parcours
Certains regretteront que l'usage de la téléconsultation ne soit pas plus libéral, laissé à la seule initiative des médecins comme un moyen complémentaire à leur exercice. L''exclusion de ce moyen dans certaines situations cliniques vise à maintenir la qualité et la sécurité de ces pratiques innovantes. C'est la mission de la HAS d'y veiller.
Il existe de la part de la jeune génération de médecins des propositions de pratiques nouvelles de la médecine, comme par exemple celle de la téléconsultation au domicile même du médecin en attendant de s'installer en cabinet médical ou celle d'une téléconsultation plus "commerciale" relevant de plateformes privées de services de télémédecine à la charge des patients. Il revient aux pouvoirs publics d'assurer une égalité d'accès aux soins à tous les citoyens, sans conditions de ressources, comme l'exige la loi fondamentale de 1946. La santé fait partie des missions régaliennes de l'Etat. Doit-on s'en plaindre ?
Source : Santé connectée et télémédecine