Les médecins sont de mauvais patients, dit-on. Cela semble plus vrai que jamais en cas de burnout. C’est en tout cas ce qui ressort d’une étude que le Dr Anne-Laure Lenoir, généraliste à Namur, a présentée au Congrès de Médecine Générale. Mais pourquoi en est-il ainsi ?
C’est un point de vue original qu’a adopté le Dr Anne-Laure Lenoir dans son étude sur le comportement des médecins en cas de burnout. Elle a cherché à connaître la perception des psychologues quant aux médecins qu’ils prennent en charge lorsqu’ils souffrent du syndrome d’épuisement professionnel. Précisons d’emblée qu’elle ne s’est pas adressée à des psychiatres afin d’éviter un biais : ces derniers soignent souvent d’autres médecins. Le Dr Lenoir a donc interrogé une douzaine de psychologues, tous ayant au moins deux patients médecins en charge, mais certains en suivant jusqu’à 35. Les entretiens, semi-structurés, ont porté sur trois axes principaux : les défis spécifiques, leurs origines et les solutions potentielles.
Des consultations souvent trop tardives
Cette mission n’est pas sans défi, en effet. Les médecins consultent souvent tard, selon les psychologues. « Ils attendent plus longtemps que les autres patients. Quand ils consultent, ils sont dans un état d’épuisement plus que profond », a expliqué un psychologue lors des entretiens. Ils ont du mal à se reconnaître eux-mêmes comme patients, ce qui complique l’établissement d’une relation thérapeutique avec eux.
Une réticence à demander de l’aide
Le Dr Anne-Laure Lenoir s’est interrogée sur les raisons de ces obstacles. Il apparaît que les médecins sont réticents à formuler une demande d’aide pour eux-mêmes. C’est un constat général : ils manquent de soins envers eux-mêmes. L’enquête a révélé que cette attitude est enracinée dans une culture professionnelle spécifique. On y trouve notamment une forte notion de « vocation ». L’altruisme demeure central dans ce dilemme entre se soigner et soigner les autres. Il existe une confusion entre identité professionnelle et identité personnelle, rendant difficile pour les médecins de diminuer leur niveau d’engagement. « En se retirant partiellement ou totalement de leur pratique, ne serait-ce que provisoirement, ils auraient l’impression d’abandonner leurs patients et ressentiraient de la culpabilité. »
La peur du jugement et le poids de la formation
Des explications peuvent également être trouvées au niveau sociétal. En avouant leur état, les médecins craignent le jugement professionnel et social. Le prestige de la profession reste grand. « Tout le monde rêve que son enfant devienne médecin. Et le médecin est là pour résoudre les problèmes des autres. Il doit tenir bon. » Sans doute la double culture de l’endurance et de la vocation trouve-t-elle ses racines dès la formation universitaire. « Ce sont des bêtes à concours », commente le Pr Cassian Minguet, responsable du CAMG à l’UCLouvain. « On les sélectionne avant même qu’ils ne commencent leurs études, et l’effort qui leur est demandé tout au long de leur formation revient peut-être à sélectionner, en même temps, des candidats au burnout. » Il est vrai, répond Anne-Laure Lenoir, « qu’on choisit une profession en fonction de sa propre personnalité. »
Des pistes pour changer la culture professionnelle
Après avoir établi ce constat, Anne-Laure Lenoir propose des pistes de solution. Pour tenter d’atténuer ce risque, il faudrait intégrer dans la formation initiale et continue des notions de soins personnels et de vulnérabilité. Des groupes de soutien devraient également être mis en place. Le soutien est indispensable pour aider les médecins à reconnaître qu’ils ont besoin d’aide, pour les encourager à en demander et pour les inciter à l’accepter. Un travail en profondeur est nécessaire pour transformer la culture professionnelle.