Dr Philippe Leroy : « Redonner du sens au métier est le meilleur levier contre la pénurie.»

Après six ans à la tête du CHU Saint-Pierre, le Dr Philippe Leroy s'apprête à rejoindre les Cliniques universitaires Saint-Luc en tant que directeur général. Il revient sur les enjeux actuels du secteur hospitalier, entre collaboration des réseaux, pénurie de personnel et défis technologiques. Sa priorité : redonner du sens au métier des soignants dans un environnement en constante évolution.

Qui va vous remplacer au CHU Saint-Pierre ?

Le poste est ouvert, et un cahier des charges a été établi pour qu’un cabinet de recrutement externe procède au choix de mon successeur.

Quand commencerez-vous aux Cliniques universitaires Saint-Luc ?

Officiellement, je commence le 14 octobre.

Le passage d’un hôpital public, avec un profil très social, au privé peut surprendre, étant donné votre engagement.

Les Cliniques universitaires Saint-Luc ont effectivement un statut privé, mais il s'agit d'un hôpital académique qui remplit de très importantes missions de service public, tant au niveau des soins que de la formation, par exemple. Fondamentalement, je pense que tous les hôpitaux devraient être plus solidaires, car les combats des uns sont les combats des autres. Dans l'intérêt de nos patients, de nos institutions publiques, et dans l'intérêt collectif, nous devons travailler ensemble.

Les réseaux ne sont-ils pas censés favoriser cette collaboration ?

Actuellement, le pouvoir politique nous laisse une grande latitude pour nous organiser au sein des réseaux. Chacun pourra animer son réseau avec les projets qui lui semblent les plus pertinents et prioritaires. Il faut évidemment utiliser cette liberté, sans quoi les autorités risquent de mettre en place des réseaux uniformes. Si certains souhaitent mutualiser une pharmacie, une plateforme logistique ou envisager des collaborations en oncologie ou en gynécologie, c’est possible… Le nombre de partenaires peut aussi amener à adapter la gouvernance. Travailler en réseau permet également de trouver des solutions d'entraide face aux pénuries.

Avez-vous déjà participé à des réunions de travail aux Cliniques Saint-Luc ?

Durant mes vacances d'été, j'y ai passé beaucoup de temps pour participer à des réunions préliminaires et rencontrer de nombreuses personnes. Aujourd'hui, je me concentre sur la finalisation des dossiers de Saint-Pierre, où je suis engagé jusqu'au dernier jour.

Quels sont les enjeux pour les Cliniques universitaires Saint-Luc ?

Nous avons la chance d'avoir un grand projet de reconstruction complète du campus hospitalier, déjà en cours, avec l'institut de psychiatrie et l'institut Roi Albert II pour le cancer, qui sera inauguré l'année prochaine. Sans oublier la construction de la nouvelle tour et les unités d'hospitalisation à venir. C'est une occasion de repenser notre façon de soigner les patients, de les accueillir, et de déterminer quels sont les flux les plus optimaux pour une médecine d'avenir. Cela nous offre une chance unique de nous interroger et d'adapter certaines pratiques à la médecine des 20 ou 30 prochaines années. C'est très motivant. Nous devons avoir une structure qui reflète notre stratégie, et non l'inverse.

Est-il encore possible de penser à 30 ans vu la rapidité des avancées technologiques ?

Nous le devons ! Bien sûr, plus nous nous projetons dans l'avenir, moins les scénarios sont certains. Il existe des variables et des inconnues. Mais rien que le fait de réfléchir nous permet de progresser. L'exercice intellectuel a une valeur en soi.

Faut-il placer les travailleurs au cœur du projet ?

Il faut du sens, de l'engagement interne et de la motivation. Un environnement de travail où l'on se sent bien, avec une attention portée au bien-être, est le meilleur levier contre la pénurie. Il est nécessaire de lever le contingentement des médecins pour répondre à la pénurie et d'augmenter la qualité globale des prises en charge, en augmentant le temps médical, soignant et paramédical au contact direct du patient à chaque étape de son parcours de soins. Il faut aussi mieux découpler le financement des actes et permettre un plus grand nombre de médecins sans que les coûts de la santé n'explosent. Aujourd'hui, je n'entends que très peu ce type de réflexion.

Les hôpitaux doivent-ils faire face au débat sur le conventionnement des médecins ? Qu'en pensez-vous ?

De nombreuses questions sont enchevêtrées dans ce dossier. Le conventionnement des médecins touche à l'accessibilité des soins, sans oublier la question des rémunérations des médecins et du financement global du système. Il n'est évidemment pas possible que tous les médecins soient déconventionnés. Actuellement, certaines mesures peuvent être politiquement porteuses (comme la suppression des suppléments d'honoraires), mais cela représente un manque à gagner pour les hôpitaux et les médecins, qui voient leurs rémunérations baisser. Cela peut entraîner des pertes pour l'ensemble du système hospitalier. Ces questions ne peuvent donc pas être traitées de manière isolée. Si, du jour au lendemain, les suppléments d'honoraires disparaissent, cela représenterait une perte de 10 % des ressources en honoraires (en simplifiant) dans le système. Or, nous sommes déjà dans le rouge. C'est un choix qu'il faudra assumer !

La médecine évolue à l'hôpital, avec de plus en plus de spécialistes travaillant ensemble en cardiologie, en oncologie par exemple.

Nous sommes dans une phase de travail en équipe 2.0, voire même 3.0. La transversalité et la multidisciplinarité se sont développées pour définir le parcours de soins le plus optimal avec les infirmières, les paramédicaux de différents métiers, et les métiers de support.

Comment gérez-vous les jeunes médecins et leur demande d’une autre manière de travailler ?

Un grand défi pour moi est de faire en sorte que les personnes trouvent du sens dans leur métier. Nous avons des médecins de la jeune génération qui travaillent différemment, avec de nouvelles idées, une autre vision de leur métier et d'autres aspirations. En tant que responsable, nous devons les comprendre et les soutenir.

Avec l'intelligence artificielle et les avancées technologiques, comment gérer les coûts ?

L'intelligence artificielle peut révolutionner énormément d'étapes dans la chaîne de soins et le parcours du patient. Toutefois, les médecins et les prestataires de soins restent indispensables, car nous exerçons des métiers basés sur le contact humain. Il ne faut pas craindre les nouvelles technologies. Pour réduire la charge administrative, l'IA peut être fantastique. Mais avant tout, la Belgique doit proposer un cadre législatif qui tienne compte des tendances actuelles, pour éviter de rester bloqués, comme cela a été le cas pendant longtemps avec la télémédecine. À cela s'ajoute la question de l'adaptation du financement.


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Derniers commentaires

  • Gilbert BEJJANI

    09 septembre 2024

    Je suis vraiment content que le Dr Leroy a été choisi pour cette fonction ou plutôt mission avec son regard nouveau sur les soins de santé. Je retrouve dans son interview beaucoup d'éléments avec lesquels je converge absolument, dont la liberté de s'associer en réseau, qui doit être exploitée absolument dans l'optique d'une amélioration de l'efficience mais aussi ses propos concernant la technologie, dont l'IA, qui amène une innovation nécessaire pour augmenter la valeur ajoutée des soins. Le monde de demain n'est plus au volume mais à la valeur ajoutée pour le patient. C'est le principal levier pour résoudre les défis de la pénurie de soignants et la demande en soins de la population. Encore Bravo