Face à de futures pandémies, la Belgique "a tiré des leçons du Covid-19" (S.Van Gucht)

Sur le front dès les premiers cas de Covid-19 constatés en Belgique, début 2020, le virologue Steven Van Gucht a été durant plus de deux ans l'un des visages belges de la lutte contre ce coronavirus. Le scientifique de l'institut belge pour la santé publique Sciensano décrit une période "avec beaucoup d'incertitude", théâtre de "certaines tensions", au cours de laquelle la Belgique "a tiré beaucoup de leçons". S'il reste compliqué de prédire l'arrivée d'une nouvelle pandémie, Steven Van Gucht se veut rassurant : "Sciensano et les autorités belges, en général, se sont améliorés, notamment en termes de surveillance."

À la tête du premier comité scientifique dédié à la lutte contre le Covid-19, Steven Van Gucht a connu une certaine renommée en Belgique grâce à ses interventions, quotidiennes au pic de la pandémie, lors des conférences de presse destinées à faire le point sur la crise sanitaire. Le virologue de Sciensano n'a cessé d'informer le public, avec Emmanuel André puis Yves Van Laethem, pour expliquer au mieux cet épisode unique dans l'histoire contemporaine. "Nous avons tenté de maintenir une communication consistante et transparente", explique-t-il à Belga. "Nous n'avons cependant pas réussi à atteindre certains publics, ce qui a été un problème, notamment durant la campagne de vaccination. Cela représentait un défi de communiquer avec l'ensemble de la population de manière compr&eacut e;hensible. C'était également important pour faire face à la désinformation continue et à la manipulation des faits sur les réseaux sociaux. Nous avons tenté de faire des efforts pour communiquer au mieux, mais c'était très compliqué", admet-il.

Il faut dire que le scientifique, ainsi que les autorités belges, ne s'attendaient pas forcément à affronter une telle pandémie, menant à des mesures aussi extrêmes que le confinement généralisé de la population. "En janvier 2020, les premières réunions avec le monde politique autour du Covid-19 se résumaient à de l'opérationnel, notamment le rapatriement d'une dizaine de Belges bloqués à Wuhan à cause du lockdown en Chine", se remémore Steven Van Gucht. "On ne savait pas encore s'il fallait prendre ce virus au sérieux, car il était difficile d'évaluer la situation en Chine, qui n'est pas toujours transparente."

Les choses ont cependant changé à l'arrivée du virus dans le nord de l'Italie. "Les premiers échos en Chine faisaient état d'un taux de mortalité de 3% en raison du Covid-19. Cela nous semblait peut-être exagéré. Mais au nord de l'Italie, le taux était de 10%. On s'est alors rendu compte que cela devenait très sérieux. Cela a notamment mené à des premiers problèmes de logistique, avec des pénuries de masques, de matériel médical? Fin février, début mars, l'atmosphère était plus chaotique et anxieuse. On se rendait compte que nous n'avions pas les bonnes armes pour lutter contre ce coronavirus", confie le virologue.

L'incertitude était le maître-mot à l'époque. "C'était mieux de ne pas faire d'estimations au début de la pandémie, car en coulisses, on s'attendait à n'importe quel scénario", explique Steven Van Gucht. "Nous avons essayé d'être prudent dans notre communication, sans céder à la panique."

Imaginer des mesures pour contrer la pandémie au fil des découvertes et des évolutions du virus, trouver des compromis entre l'urgence sanitaire et les libertés de la population? Cela a demandé de nombreuses discussions qui n'ont pas été simples, rappelle le représentant de Sciensano. "Il y a eu parfois certaines tensions, ce qui est normal. Les politiques ne doivent pas seulement écouter les experts. Les scientifiques ont pu parfois estimer que certaines mesures n'étaient pas suffisantes ou que d'autres étaient levées trop vite. Mais il faut tenir compte de beaucoup d'éléments avant de prendre une décision pour toute la population", résume-t-il.

Il souligne que les autorités ont "rapidement" réagi après l'annonce de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) qu'une pandémie due au Covid-19 était bien en cours. Mais cela a été plus difficile de relancer le train de mesures durant l'été qui a précédé la seconde vague du coronavirus. "On avait dit que ça allait reprendre, mais il était compliqué de convaincre les politiques de rester sur une ligne consistante. En outre, beaucoup d'académiques et de scientifiques disaient dans la presse, en août 2020, qu'il ne fallait pas exagérer la reprise de la pandémie, que les mesures strictes n'étaient pas nécessaires? C'&eacut e;tait difficile de se faire entendre auprès des politiques à ce moment-là." La reprise en novembre 2020 était pourtant bien réelle, et a mené à un pic bien plus important de malades dans les hôpitaux et aux soins intensifs que lors de la première vague, en avril 2020.

Steven Van Gucht pointe aussi la difficulté de maintenir un débat scientifique dans la sphère médiatique. "Pour moi, la presse n'est pas un bon canal pour assurer un débat scientifique sain. Cela doit se faire entre experts, avec des données. Dans la presse, cela devient des opinions, avec parfois des arguments faux. Pour le public et les politiques, cela pouvait amener de la confusion", regrette le virologue. Selon lui, cela n'a toutefois pas affecté la confiance des Belges. "Une récente enquête de la VRT a montré qu'une grande majorité de la population avait confiance dans la science par rapport à la gestion de la pandémie. Mais il y a effectivement un mouvement anti-science qui e st minoritaire, mais très visible. Je suis surtout inquiet par cette tendance à l'étranger, notamment aux États-Unis."

Les autorités ont "tiré beaucoup de leçons de la pandémie", estime le représentant de Sciensano. L'institut belge de santé publique a également évolué en investissant dans la communication et dans un poste de coordinateur de crise à plein temps. "Nous avons aussi engagé des moyens dans la surveillance des maladies, notamment la surveillance dans les eaux usées, que nous ne faisions pas avant la pandémie", explique Steven Van Gucht. "Nous avons créé un département rien que pour la gestion des données. On a écouté les critiques et on tente d'améliorer les choses."

Au niveau international, il y a également eu des évolutions. "La Commission européenne a pris ses responsabilités. Il y a désormais une meilleure surveillance des maladies à travers les frontières, des agences ont été créées, notamment pour assurer les stocks de matériels médicaux. Et il y a une meilleure coopération entre les pays", estime le virologue. Par contre, la récente décision des États-Unis de quitter l'OMS l'inquiète beaucoup. "C'est une vraie marche arrière. L'OMS espère faire signer d'ici à mai 2025 un traité sur les pandémies, mais sans les États-Unis, qui est un grand pourvoyeur d'argent, ma is aussi de données, cela sera compliqué."

Car le consensus scientifique l'assure : il y aura encore des nouvelles pandémies. "Celles-ci surviennent en moyenne tous les 10 à 30 ans, une pandémie de la gravité du Covid-19 pouvant, selon certaines études, se produire environ tous les 50 ans", précise le scientifique. "Sommes-nous mieux préparés ? Sciensano a essayé de faire ses devoirs et poursuit un processus continu d'amélioration. Les autorités se sont aussi améliorées, par exemple en termes de développement des stocks médicaux et de surveillance. Il y a cependant toujours du travail à mener, notamment pour protéger les populations plus fragiles. Mais cela avance, notamment grâce aux exerc ices de simulation qui nous permettent de mettre en pratique nos connaissances."

Le Covid-19 inquiète en tout cas bien moins le virologue aujourd'hui. "Il faut évidemment rester prudent, mais je suis assez rassuré. Cet hiver, nous avons connu une période très calme, alors que la grippe a pour sa part mené à une forte surmortalité. Mais on est sorti de la phase de pandémie, j'en suis convaincu. Il faut toujours suivre la situation, notamment pour les personnes vulnérables. Mais notre focus, c'est la préparation pour la prochaine pandémie", conclut Steven Van Gucht.

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