Les spécialistes voient les médecins généralistes à bord de leurs paquebots aux doux noms de "E-health","Dossier Médical Informatisé" ou encore "Prescriptions électroniques". Vu de la terre, ils ressemblent plus à des barques qu'à des yachts et on se pose la question "mais que diable allaient-ils faire dans cette galère?"*. Bugs, pannes, lenteurs, manque de moyens : les échos qui résonnent laissent les spécialistes très sceptiques quant au bénéfice immédiat à embarquer dans ces conditions mais les annonces faites à terre ne laissent pas planer le doute : de gré ou de force, spécialistes, il vous faudra monter à bord alors autant essayer de le faire dans les meilleures conditions possibles!
Petit tour d'horizon des impératifs et restrictions liés à l'utilisation des e-services.
Le DMI idéal
D'abord le dossier médical informatisé (DMI), le Dr Philippe Verdoot, spécialiste en psychiatrie à Epsylon et adepte des nouvelles technologies, l'a testé pour nous.
Selon lui, les conditions d'un bon fonctionnement sont d'une part que ce dossier puisse rassembler et uniformiser sur un seul portail les différentes fonctions utiles au médecin: agenda, prescription, courrier,etc. D'autre part, le programme doit être personnalisé. En effet, chaque spécialité a ses spécificités propres, pas toujours rencontrées dans les programmes actuels. "J'imaginerais bien un programme complet de base sur lequel chaque spécialiste puisse activer ou désactiver les fonctions qui correspondent à son domaine. Cela permettrait une bonne visibilité sans alourdir le programme." Moyennant cela, les avantages sont réels, grâce entre autres à la portabilité du système, "c'est un portail web, qui est dès lors accessible à partir de n'importe quel appareil connecté". Il permet également d'assurer une meilleure continuité des soins ainsi qu'une rigueur accrue dans les prises en charge, le traitement et la communication d'informations autour du patient entre professionnels.
Il reste, selon le Dr Verdoot, deux grandes craintes autour du DMI. Premièrement, que deviennent les données introduites si, par exemple, on doit changer de fournisseur ou s'il fait faillite, sachant que la loi oblige le médecin à garder les données d'un dossier patient pendant 30 ans? Y a-t-il transfert possible de données et, le cas échéant, à quel coût? Ensuite, "on dépossède le médecin de la garantie du secret médical", le système nécessite de faire confiance à tous les intermédiaires de la chaîne, du développeur au patient en passant par e-health et ses sous-traitants.
Oubliez Paris !
Abordons maintenant les prescriptions électroniques. Oubliez Paris, nous disent la majorité des confrères qui ont testé l'application. Elle est lente, chronophage, n'a aucune capacité de mémorisation des patients ou des traitements prescrits. D'autant qu'il existe des alternatives peu onéreuses (Voir les alternatives à Paris décrites sur le site internet de l'Absym dans l'onglet prescription électronique) et qui représentent une réelle avancée par rapport aux prescriptions papier de par leur facilité d'utilisation et la mise en mémoire de toutes les données. Il vous faut juste un certificat e-health pour pouvoir les installer et les utiliser correctement. Dès que vous avez intégré le fonctionnement de l'application, ceux qui l'ont testé sont unanimes, les bénéfices sont immédiats : compendium intégré, gain de temps, renouvellement facile des ordonnances, suivi de la compliance du patient (on voit quelle prescription a été délivrée ou pas), prescriptions magistrales facilitées sont autant d'atouts de la formule électronique.
Il faut des exceptions supplémentaires
Quant au côté obligatoire, tous partagent également le même avis: il faut des exceptions supplémentaires à celles qui ont déjà été accordées comme les visites à domicile et les médecins de plus de 62 ans. En effet, certaines situations cliniques rendent impossibles l'utilisation en pratique de la prescription électronique. Ont été cités : les pannes informatiques (dans le réseau, sur internet, sur l'application elle-même), les patients qui ne sont pas en possession de leur carte d'identité ou de leur numéro d'identité nationale au moment de la consultation (les bébés et les enfants, les personnes qui présentent une confusion ou une démence, les patients psychotiques,...), les patients étrangers non encodés dans le système de sécurité sociale belge ( cela va du membre de la CEE au réfugié illégal). La demande des spécialistes est très claire à ce sujet, le législateur, s'il rend la prescription électronique obligatoire, doit prendre en considération ces exceptions pour permettre la bonne continuité des soins. Sinon, c'est le patient qui risque d'en pâtir et de ne pas recevoir ses ordonnances et son traitement ou de devoir payer le prix plein. Ces exceptions seront d'ailleurs proposées pour validation par l'Absym lors du prochain comité de l'assurance (le 12 novembre).
Quid des primes pour les spécialistes ?
Enfin, terminons par un constat. Les généralistes peuvent bénéficier d'une prime de pratique intégrée, payée par l'Inami, qui va jusqu'à 6000 euros par an pour soutenir l'utilisation des "e-services". Vous vous posez la question de ce à quoi un spécialiste aurait droit pour faciliter son informatisation? Actuellement, la réponse est très simple : rien!
Petite suggestion subliminale pour motiver les troupes à embarquer...
* Les fourberies de Scapin, Molière, 1671.