Plan eSanté 2025-2027 : Que faut-il en penser ? ( Pr Giovanni Briganti )

Le Pr Giovanni Briganti, titulaire de la Chaire IA et Médecine Digitale à l’Université de Mons, a publié un dossier d’analyse replaçant le contexte autour du plan e-santé 2025-2027. Dans cette tribune, il propose une synthèse des objectifs et des enjeux de cette transition numérique, en soulignant les opportunités qu’elle offre tout en mettant en garde contre les défis liés à l’interopérabilité, à la cybersécurité et à l’adhésion des acteurs de santé.

En février 2025, l’Institut national d’assurance maladie-invalidité (INAMI) a levé le voile sur le plan e-santé 2025-2027, une feuille de route ambitieuse visant à propulser la santé belge dans l’ère du numérique. Dans un pays où le système de soins fait face à des défis croissants – vieillissement de la population, hausse des maladies chroniques, coordination complexe entre niveaux de pouvoir –, ce programme interfédéral entend transformer les soins grâce aux technologies digitales. Mais derrière les promesses d’innovation, quels sont les enjeux et les obstacles à surmonter ? Décryptage.

Une vision à trois axes pour un écosystème connecté

Le plan e-santé 2025-2027 s’appuie sur trois piliers stratégiques. D’abord, renforcer les services de base de la plateforme fédérale eHealth, l’infrastructure numérique qui permet des échanges sécurisés entre professionnels de santé. Ensuite, accélérer le déploiement du Dossier Santé Intégré Belge (BIHR), un dossier médical national accessible à tous les acteurs autorisés, avec une interconnexion prévue dès 2025 à l’Espace Européen des Données de Santé (EHDS). Enfin, aligner ces outils numériques sur les réformes des soins intégrés pour soutenir des parcours de soins modernes, notamment pour les patients chroniques ou vulnérables.

L’objectif ? Offrir des soins plus fluides, sécurisés et accessibles, tout en autonomisant patients et soignants. Il s’agit de bâtir un écosystème durable où prévention, bien-être et soins s’entrelacent grâce au numérique. Approuvé fin 2024, le plan s’étendra jusqu’en 2027 avec des étapes clés : dès cette année, le BIHR gagnera en portée, avant une consolidation complète de l’interopérabilité des systèmes d’ici 2026-2027.

Un terreau numérique déjà fertile

La Belgique part avec un avantage : son système de santé est déjà bien numérisé. Grâce à la Banque-Carrefour de la Sécurité Sociale (BCSS) et à la plateforme eHealth, les échanges de données entre acteurs de santé sont une réalité. Tous les citoyens disposent d’une identité électronique (eID) pour accéder à leurs données via le portail MaSanté, tandis que 90 % des hôpitaux et prestataires utilisent les services eHealth. Prescriptions électroniques, certificats médicaux en ligne ou encore messagerie sécurisée entre soignants : ces outils, fruits des plans précédents, sont désormais ancrés dans le quotidien.

Pourtant, tout n’est pas parfait. Le paysage numérique reste fragmenté, avec des réseaux régionaux (Wallonie, Bruxelles, Flandre) qui, bien qu’interconnectés, peinent encore à s’aligner totalement avec le niveau fédéral. C’est là que le plan 2025 entre en jeu, avec l’ambition d’unifier cet écosystème disparate.

Des défis majeurs à relever

Malgré ses atouts, la Belgique doit surmonter plusieurs écueils. La cybersécurité, d’abord : avec 309 incidents graves recensés dans le secteur santé en Europe en 2024, les hôpitaux belges ne sont pas à l’abri des cyberattaques. Le plan mise sur des mesures renforcées – chiffrement, authentification forte via eID, formation du personnel – pour protéger données et systèmes.

L’interopérabilité pose aussi question. Connecter les multiples bases de données et logiciels utilisés dans le pays nécessite des standards communs et une architecture flexible. Le BIHR sera la clé, mais son succès dépendra d’une coordination sans faille entre Régions, Communautés et État fédéral – un défi dans un pays à la gouvernance complexe.

Enfin, l’adhésion des acteurs reste cruciale. Si les professionnels redoutent une surcharge administrative ou manquent de formation, et si les patients, notamment les plus âgés, peinent à adopter ces outils, le projet pourrait patiner. La fracture numérique est un risque réel, mais aussi une opportunité de renforcer l’inclusion ».

Des bénéfices concrets en vue

Si le plan réussit, les gains pourraient être spectaculaires. Pour les patients, un accès simplifié aux soins, grâce à la télémédecine ou à un dossier partageable réduisant les examens redondants. Pour les soignants, moins de paperasse et une collaboration facilitée. Et pour le système, une efficacité accrue, avec des données optimisées pour prévenir les erreurs et mieux gérer les ressources.

Le numérique pourrait aussi doper l’innovation, ouvrant la voie à l’intelligence artificielle ou à la médecine personnalisée. La Belgique, déjà leader européen en e-santé avec un score de maturité de 100 % en 2024, peut devenir un modèle .

Un pari ambitieux mais risqué

Reste que le chemin est semé d’embûches. Le financement – public et peut-être européen – devra suivre, alors que les coûts d’infrastructure et de maintenance s’annoncent élevés. L’acceptabilité par le public, échaudé par les questions de vie privée, et par les soignants, parfois réticents au changement, sera déterminante. Sans oublier les défis organisationnels : révolutionner les pratiques sans perturber les soins demande une exécution millimétrée.

Vers une santé belge 2.0 ?

Avec le plan e-santé 2025-2027, la Belgique joue gros. Réussir cette transition numérique, c’est non seulement moderniser ses soins, mais aussi inspirer l’Europe dans un monde post-pandémique où le digital est incontournable. Les bases sont solides, les ambitions claires, mais la mise en œuvre dira si ce projet transforme les promesses en réalité. Pour l’heure, patients et professionnels attendent de voir si cette révolution tiendra ses engagements.

> Lire l'intégralité de l'analyse

Vous souhaitez commenter cet article ?

L'accès à la totalité des fonctionnalités est réservé aux professionnels de la santé.

Si vous êtes un professionnel de la santé vous devez vous connecter ou vous inscrire gratuitement sur notre site pour accéder à la totalité de notre contenu.
Si vous êtes journaliste ou si vous souhaitez nous informer écrivez-nous à redaction@rmnet.be.