Au paradis pour certains, en enfer pour d’autres, la place du numérique doit encore se préciser entre ces deux approches extrêmes, souvent martelées sans véritable fondement et qui nous détournent des vraies questions. Une réflexion du Dr Alberto Parada, Président de la commission SSMG de Liège et cheville ouvrière d’une Grande Journée sur le médecin du futur ce 18 janvier 2020.
Nous vivons dans un monde qui est devenu numérique. Le numérique est présent dans tous les aspects de notre quotidien tant privé que professionnel. Que ce soit pour se former, s’informer, se distraire, communiquer, acheter, etc. , nous utilisons tous des systèmes informatiques. La partie émergée de l’iceberg digital apparaît clairement à travers notre utilisation du web et des messageries sur nos smartphones ou ordinateurs. La partie immergée, beaucoup plus importante, nous touche également au quotidien ; à la maison (domotique), dans notre voiture (« bourrée » d’électronique), dans la production et la distribution d’énergie, etc.
Nous y voilà… la fracture numérique ! La quatrième révolution industrielle se déroule sous nos yeux, depuis l’aube du troisième millénaire engendrée par l’apparition d’Internet. C’est la première révolution industrielle à ne pas prendre racine dans l’émergence d’une nouvelle énergie mais dans le potentiel d’un nouveau phénomène technologique : le digital. Une numérisation qui permit l’édification d’un nouveau monde ; virtuel, à partir duquel il est possible de piloter le monde physique. Cette quatrième révolution industrielle - moins énergivore, en termes d’énergies non renouvelables – serait alimentée par des ressources alternatives. Demain, les usines 4.0 seront imbriquées (et impliquées) dans des smartcities et alimentées par des énergies éolienne, solaire ou géothermique.
Dans ce contexte de profondes mutations technologiques et sociétales, la santé n’échappe pas à (la) cette transformation, cette innovation disruptive !
La médecine numérique est une réalité !
L’utilisation croissante du numérique dans la santé nous impacte de plus en plus, tant dans les aspects recherche, formation et clinique, que dans la relation des patients avec leurs soignants. Le numérique, en bouleversant les pratiques, soulève des questions éthiques nouvelles qui peuvent parfois dérouter, voire passer inaperçues dans certains cas.
N’oublions pas le patient (non professionnel de la santé mais bien) acteur (volontaire ou non) de son bien-être dans ce monde numérique actuel.
Nous imaginons la rupture subtile entre l’intérêt d’augmenter les connaissances pour progresser vers la notion de patient-expert (éclairé, « patient empowerment ») d’une part et la volonté de maîtriser le recours aux (in)formations parfois erronées et/ou conduisant à une fausse expertise d’autre part.
Comme dans toute révolution et comme souvent en médecine (d’autant plus en médecine digitale, disruptive), les professionnels de la santé, partisans et opposants, s’affrontent à coup d’avis (plus ou moins appropriés, judicieux et sages) …
De nouveaux venus s’invitent au débat et sont incontournables dans cette réflexion, l’Intelligence Artificielle et le Machine (& Deep) Learning («l’apprentissage automatique/statistique/approfondi»). Machine Learning et Big Data sont inextricablement liés. Les enjeux se situent encore en amont.
L’Intelligence Artificielle est en effet au cœur de la médecine du futur, avec les opérations assistées, le suivi des patients à distance, les prothèses intelligentes, les traitements personnalisés grâce au recoupement d’un nombre croissant de données (big data), etc.
Sans vouloir nous embarquer dans la sécurité, le stockage ou la transmission des données (RGPD, blockchain, …), il est important de préciser que l’IA s’appuie sur deux approches (symbolique (la logique) et numérique (les données)) pour des données mieux structurées et protégées et pour des systèmes plus performants et transparents. La recherche développe pour cela des approches et des techniques multiples, du traitement des maladies et de la construction d’ontologies médicales, à l’étude/l’exploitation des données et à l’apprentissage automatique. Il existe ainsi, aujourd’hui, deux « courants » d’IA.
Les tenants de l’intelligence artificielle dite forte visent à concevoir une machine capable de raisonner comme l’humain, avec le risque supposé de générer une machine supérieure à l’homme et dotée d’une conscience propre. Cette voie de recherche est toujours explorée aujourd’hui, même si de nombreux chercheurs en IA estiment qu’atteindre un tel objectif est impossible.
D’un autre côté, les tenants de l’intelligence artificielle dite faible mettent en œuvre toutes les technologies disponibles pour concevoir des machines capables d’aider les humains dans leurs tâches. Ce champ de recherche mobilise de nombreuses disciplines, de l’informatique aux sciences cognitives en passant par les mathématiques, sans oublier les connaissances spécialisées des domaines médicaux auxquels on souhaite l’appliquer. Ce nouvel écosystème en Santé engendre des bouleversements, augure de « nouveaux métiers » en Santé et redéfini une (nouvelle ?) approche et relation aux Soins.
Il est important de comprendre comment fonctionne ce nouvel écosystème pour savoir ce qu’il peut faire et surtout ce qu’il ne peut pas faire. Le robot médical omniscient, qui pour beaucoup symbolise l’IA, n’est pas pour demain ! .
Le médecin d’aujourd’hui doit maîtriser les données.
Les données de santé (examens, comptes-rendus, ordonnances…) sont depuis longtemps agrégées dans des bases de données (…Smart Data) très (convoitées et) utilisées. L’irruption de l’IA dans la santé a rendu ces données encore plus importantes car leur quantité et leur qualité conditionnent directement la pertinence des résultats obtenus et des questions ou des problèmes de santé («Health issues»).
Des systèmes de recommandations (diagnostic, traitement) basés sur une IA ont déjà démontré leur intérêt dans l’exercice médical au quotidien. Le recours à ces aides à la décision, qui va aller croissant, soulève de multiples questions.
On comprend ainsi mieux les tensions entre, d’une part, des attitudes simplistes de rejet ou d’adoption sans réflexion et, d’autre part, une utilisation maîtrisée nécessitant le développement de systèmes traçables, une formation poussée à leur utilisation et le renforcement d’une pensée critique.
Au paradis pour certains, en enfer pour d’autres, la place du numérique doit encore se préciser entre ces deux approches extrêmes, souvent martelées sans véritable fondement et qui nous détournent des vraies questions. En fait, la Santé numérique sera ce que nous – tous les acteurs concernés, depuis les chercheurs et les soignants jusqu’aux politiques sans oublier bien entendu les patients – décidons qu’elle soit. Afin de nous éclairer et pour nous aider à la construire, les questionnements éthiques doivent être au cœur de ces réflexions.
Que ce soit pour améliorer la qualité des soins ou l’efficience des systèmes de santé ou bien encore pour mieux impliquer les patients, le numérique est le creuset de très nombreuses innovations technologiques. Afin que certaines de ces innovations se traduisent par de véritables progrès pour les individus et la société, il est plus que jamais indispensable de s’interroger sur leurs évolutions et leurs retentissements.
La médecine de demain sera numérique. Elle n’en demeurera pas moins un art de guérir moderne et humain, outillé par les innovations technologiques et l’ Humanitude aux contours redessinés.
C’est une question complexe qui mérite précisions. La réflexion (y compris éthique) peut nous aider à prendre les bonnes décisions.
C’est à cette rencontre que nous vous convions le 18 janvier 2020, 13h à Herve, dans le cadre de la formation médicale continue, sous les auspices de la Société Scientifique de Médecine Générale, à Médecin du futur.
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