Les technologies numériques médicales font désormais partie de nos soins de santé, ce qui pose logiquement la question de leur remboursement par l’assurance maladie. Mais comment distinguer celles dont l’utilité justifie un remboursement ? À la demande de l’INAMI, le KCE a analysé la manière dont l’évaluation de ces technologies se déroule en Europe et a interrogé les acteurs belges du secteur afin de poser les balises d’une procédure d’évaluation claire et transparente pour notre pays.
Ces dernières années, la pandémie a donné un coup d’accélérateur aux technologies numériques, avec la percée des téléconsultations et du télémonitoring des patients COVID-19 à leur domicile, pour ne citer que ces deux exemples. Puisque les technologies numériques médicales font désormais partie de nos soins de santé, se pose fort logiquement la question de leur remboursement par l’assurance maladie. Or ce n’est pas simple, car elles sont de plus en plus nombreuses et il est particulièrement difficile de déterminer quelles sont celles dont l’utilité justifie un remboursement par l’assurance maladie. De plus, elles sont rarement utilisées seules mais en combinaison avec divers dispositifs (p. ex. capteur de glycémie, montre connectée…) – où doit alors s’arrêter le remboursement ?
Besoin d’une procédure claire
Pour ces raisons, l’INAMI a demandé au KCE de l’aider à élaborer une procédure claire et transparente pour l’évaluation de ces technologies en Belgique. Il existe déjà une procédure dont les conditions sont résumées sur le site www.mHealthbelgium.be, mais elle reste limitée aux applications mobiles (applis) et elle manque de rigueur et de transparence. Les « technologies numériques médicales » sur lesquelles porte cette étude sont les applis et autres technologies basées sur des logiciels et utilisées directement par les patients en concertation avec les prestataires de soins (p. ex. les technologies de monitoring à distance, les logiciels d’aide au diagnostic…). L’étude ne porte donc pas sur les technologies utilisées de manière autonome par les prestataires de soins (p. ex. logiciels de prescription) ou par les patients (p. ex. applis de fitness ne nécessitant pas de prescription ou d’implication d’un prestataire de soins).
Un domaine encore très mouvant
Les chercheurs du KCE ont interrogé des acteurs-clés au niveau belge (fabricants, prestataires de soins, représentants des patients, INAMI…) et ont analysé la manière dont l’évaluation de ces technologies se déroule dans d’autres pays européens. Certains de ces pays sont actuellement occupés à effectuer le même exercice, avec des cadres d’évaluation en plein développement ; d’autres ont déjà mis en œuvre leur cadre d’évaluation mais ceux-ci font encore l'objet d'adaptations. Bref, il s’agit d’un domaine encore très mouvant.
Évaluation générique…
Dans la plupart des pays, les évaluations se font au cas par cas, mais la France et les Pays-Bas ont également prévu des « listes génériques » pour les technologies de télémonitoring appliquées à certains domaines prioritaires (p. ex. le diabète) pour lesquels la valeur ajoutée d’un monitoring est déjà confirmée par des guidelines validés. Dans ces cas, le remboursement est décidé sur la base de critères très spécifiques, listés dans un référentiel. Par exemple, le référentiel français sur le diabète prévoit les paramètres à mesurer, les alertes nécessaires, les critères d’interopérabilité, la qualification des professionnels appelés à l’utiliser, etc. Il devient alors inutile de refaire une évaluation clinique ou économique approfondie chaque fois que sort une nouvelle technologie répondant aux mêmes critères. Les stakeholders et experts belges sont globalement favorables à l’utilisation de telles listes génériques dans le cadre de processus de soins bien spécifiques.
…ou au cas par cas
Cette logique qui permet de rembourser de façon identique des « groupes » de technologies répondant aux mêmes critères n’est pas toujours possible ni souhaitable. Il faut parfois les évaluer au cas par cas, notamment lorsque le fabricant affirme qu’il offre un service bien meilleur et/ou réclame un remboursement plus élevé que ses concurrents. Il faut alors qu’il apporte la preuve de cette valeur ajoutée via des études spécifiques. À ce sujet, les chercheurs observent que les niveaux d’exigence varient beaucoup entre les pays. L’Allemagne et le Royaume-Uni sont les plus exigeants, et le cadre anglais (NICE), déjà repris par les Autrichiens, pourrait servir de source d’inspiration pour le futur cadre d’évaluation belge. Il est également à signaler qu’un effort d’harmonisation des exigences est actuellement en cours au niveau de l’Union européenne et devrait déboucher sur un White Paper en mars 2023.
Des critères et des niveaux d’exigence variables
Les bénéfices de la technologie s’évaluent essentiellement sur la base de critères cliniques (le patient va mieux) ou organisationnels (p. ex. on évite des hospitalisations, on diminue le nombre de consultations, etc.). Beaucoup de pays accordent aussi de l’importance à des bénéfices plus « orientés patient » comme la convivialité de l’interface, l’acceptation par le patient, sa capacité à gérer seul ses paramètres, etc. En effet, ces paramètres sont cruciaux pour que la technologie soit acceptée et adoptée. Dans ce domaine, les chercheurs du KCE se sont d’ailleurs largement appuyés sur les « Huit principes directeurs pour une technologie saine à dimension humaine » développés par la Fondation Roi Baudouin avec le Fonds Daniël De Coninck (et partagé avec le programme Teckno2030 in Action qui a pour objectif de “développer une boîte à outils à destination des professionnels de santé, des concepteurs de technologies et des citoyens pour répondre de manière concrète à leurs questions concernant la technologie.” ndlr)
Pas d’utilisation commerciale des données
Enfin, l’épineuse question de la protection des données personnelles a été au centre de bien des débats. En effet, si l’on choisit de rembourser une technologie, il est d’autant plus important de veiller à éviter que les données qu’elle permet de collecter soient exploitées à des fins commerciales. Pour cela des directives claires et transparentes sont indispensables. Certains pays ont mis au point des « check lists » comportant des questions détaillées sur la manière dont les fabricants satisfont aux exigences du Règlement européen sur la protection et sécurité des données, l’interopérabilité, etc. Les pays les plus avancés, comme l’Allemagne, disposent aussi de processus de certification pour confirmer que les standards imposés par les autorités sont effectivement respectés.
Il est encore tôt mais il ne faut pas prendre de retard !
Le KCE conclut qu’il est probablement encore trop tôt pour juger, parmi les exemples étrangers étudiés, lequel serait le mieux adapté au contexte belge. En effet, ces systèmes sont eux-mêmes encore en pleine évolution, et l’harmonisation attendue au niveau européen sera la bienvenue. Il faudra donc y aller de façon progressive, en apprenant en cours de route les uns des autres, avec des mises à jour régulières, mais en évitant de prendre du retard dans ce domaine où tout va si vite.
> Pour lire la synthèse du rapport
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