Figure 1. Nouvelles admissions hospitalières COVID-19 en Belgique depuis le 15 mars 2020 (Données Sciensano). Le plateau entre les 2 poussées épidémiques présente des analogies avec une phase endémique : l’encart représente l’évolution théorique d’une épidémie dans une population ouverte suivie d’une phase endémique prolongée (Halloran 1998) [1].
Au cours de la période de faible amplitude du nombre quotidien d’hospitalisations (de fin juin à début septembre 2020) qui a suivi la 1ère vague, deux hypothèses prédictives étaient plausibles :
- Hypothèse optimiste : le 1er confinement à dater du 18 mars 2020 a fortement aplati la vague épidémique, et a pu « épuiser » le pool des sujets susceptibles, à risque d’être contaminés par le SARS-CoV-2. Il pouvait être envisagé que toute la population (en tout cas chez les personnes de moins de 60 ans) n’était pas susceptible à l’infection, par une éventuelle réaction croisée des anticorps contre les coronavirus non SARS, très fréquents dans la population générale ; ou encore par un comportement d’ermite limitant la transmissibilité de ce virus ;
- Hypothèse pessimiste : la première vague épidémique a infecté environ 8% de la population générale en Belgique (sur base de la prévalence des personnes dans la population générale ayant développé des anticorps SARS-CoV-2 fin mai 2020) ; 92% de la population restait encore susceptible à l’infection par le SARS-CoV-2. Un rebond, une nouvelle poussée de l’épidémie était à craindre.
Dans ce scénario pessimiste, pour parvenir à une immunité de groupe suffisante brisant la chaîne de transmission épidémique, environ 2/3 des sujets devraient potentiellement présenter une infection avant que l’immunité de groupe ne réduise suffisamment le pool de sujets susceptibles. En effet, la proportion critique (P critique) considérée comme seuil d’immunité collective suffisante se définit en fonction du nombre basique (initial) de reproduction P critique = 1 – [1/Ro]) = 1-[1/2.74], et vaut P critique = 63.5% . Sur base des 11,4 millions de Belges, et sous l’hypothèse pessimiste que tous sont initialement susceptibles, 7,2 millions de gens devraient développer une immunité de groupe post-infection avant que l’épidémie ne s’arrête d’elle-même, par épuisement de la chaîne de transmission. On est encore très loin de ce chiffre, et sur base des données de sérologie SARS-CoV-2 positive de la première vague (8% de la population) et des données Sciensano de la seconde vague (450 mille infections SARS-CoV-2 confirmées à la moitié de la seconde vague), de l’ordre de 1,6 millions infections SARS-CoV-2 confirmées soit par PCR soit par sérologie SARS-CoV-2 sont attendues en Belgique sur l’année 2020 pour l’ensemble des 2 vagues épidémiques.
S ß↔ E → I → R
Dans le schéma de dynamique compartimentale de l’infection ci-dessus, le modèle SEIR analyse la propagation du virus à partir d’une personne Susceptible vers une personne qui s’Infecte, après une phase d’expectative E liée à la période d’incubation ; la personne infectée est finalement Retirée de la chaîne de transmission, guérie, immunisée ou décédée. Une inconnue demeure So, c’est-à-dire le nombre initial de sujets susceptibles : 8% de la population belge dans l’hypothèse optimiste ; 100% dans l’hypothèse pessimiste. Les autres paramètres de ce modèle dynamique, les coefficients de transmission σ, ß, et ν d’un compartiment au suivant, sont déterminés sur base des données de suivi clinique et épidémiologique analysés par différents groupes de chercheurs des différentes universités belges [3].
La stagnation relativement stable du nombre de nouveaux cas définit une endémie. Le nombre effectif de reproduction est stable dans la durée autour de l’unité (Rt ≈ 1). Dans l’hypothèse où la première vague n’avait pas « épuisé » le réservoir de sujets susceptibles à l’infection SARS-CoV-2, la seule mesure efficace de prévenir une seconde vague lors de la levée progressive des contraintes du confinement à partir de septembre était d’atteindre un Rt ≈ 0, c’est-à-dire une élimination totale de transmission du SARS-CoV-2 au moins sur le sol belge, maintenue sur la durée. C’est visiblement ce qui a été obtenu jusqu’ici en Chine ou en Islande, mais pas en Europe continentale ni en Amérique.
L’émergence d’une deuxième vague épidémique à partir de septembre 2020 a définitivement indiqué que la première vague n’avait pas affecté toute la population susceptible, et qu’au moins une large fraction de celle-ci était encore restée susceptible après la première vague. A ce stade-ci (14 novembre 2020), on peut déjà considérer que cette seconde ou deuxième vague (seul l’avenir nous le dira) touche une proportion de la population de niveau au moins égal à celle de la première vague, de l’ordre d’au moins 8 pour-cent de la population. Si aucune mesure n’avait été prise dès ce début novembre ou si les mesures prises ne sont pas efficaces, il n’est pas exclu qu’une proportion nettement plus élevée de la population se serait infectée, vu que 92% de celle-ci avait échappé à la première vague tout en étant potentiellement susceptible.
Les leçons suivantes peuvent réalistement être tirées pour gérer la suite :
- Les mesures prises depuis le 2 novembre (confinement ciblé) réduisent une nouvelle fois la propagation virale de manière très significative (Rt < 1 depuis quelques jours en ce mi-novembre), et d’ici 4 à 6 semaines d’effort collectif social, les indicateurs de l’épidémie retombent à un niveau contrôlable de type « endémie de faible amplitude » comme celle qui a suivi la 1ère vague (< 50 nouveaux cas hospitalisés par jour);
- Dans une vision réaliste, les 8% à 10% infectés au cours de chacune des 2 vagues (prévision), soit 16 à 18% de la population totale, laissent encore une large fraction de la population susceptible d’être infectée ultérieurement (jusqu’à 82 à 84% de la population belge, si tout le monde est initialement susceptible) ;
- C’est au cours du stade endémique de faible amplitude attendu après la 2ème vague qu’une gestion efficace est essentielle : comment lever progressivement et prudemment les contraintes sociales les unes après les autres (au niveau des écoles, de l’HORECA, des événements culturels, de certains commerces, des mesures d’hygiène individuelle et collective ; du testing/tracing) tout en prévenant une vague épidémique ultérieure ;
- Une élimination complète du virus au-delà de 2nde vague en Belgique implique non pas un Rt inférieur à 1, comme souvent exposé comme bon résultat dans les médias, mais bien un Rt aussi proche que possible de zéro. En l’absence de vaccination de masse (envisageable peut-être début 2021), les contraintes de confinement sur la durée sont probablement impossibles à mettre en place dans nos pays occidentaux pour raisons culturelle (liberté individuelle), spatiales (densité de population, quoique Beijing ne diffère pas de Paris à ce point de vue…), et économiques (pressions du marché); de plus, il faudrait des résultats d’élimination de ce virus à l’échelle au moins européenne pour éviter l’importation d’une nouvelle amorce épidémique de l’étrnager ;
- Il est plus prudent d’ici là de se baser sur une hypothèse de maintien de niveau endémique d’aussi faible amplitude que possible après la 2ème vague, qu’il convient de scrupuleusement suivre, pour éviter un nouveau rebond épidémique.
Il y a large consensus pour considérer qu’en l’absence d’accès à la vaccination, et dans nos pays occidentaux, il sera très compliqué d’éliminer ce nouveau virus.
Si l’annonce de résultats de nouveaux vaccins déjà testés en phase 3 est très encourageante, encore faut-il vérifier que la stratégie de vaccination programmée au niveau européen et belge est optimale. On peut s’étonner, par exemple, qu’au-delà des groupes à risque prioritaires (notamment, personnel des soins de santé ; > 65 ans ; > 55 ans avec comorbidité), ni l’Union européenne [4], ni la Belgique – Conseil supérieur de la santé [5] n’envisagent une vaccination en anneaux, s’adressant à tous les contacts à risque, sur le modèle de ce qui est organisé dans le cadre du dépistage/prophylaxie de la tuberculose.
Or, vu la durée d’incubation de la maladie COVID-19 de l’ordre d’au moins 5 jours dans la moitié des cas, une vaccination des contacts peut aboutir à une prévention / prophylaxie très efficace des cas secondaires à partir d’un patient COVID-19. Peut-être les experts devraient-ils se pencher sur cette possibilité de renforcement de stratégie de vaccination, et analyser sa pertinence ou non. Au vu de la mise en place du programme de tracing et testing SARS-CoV-2, il parait a priori faisable et efficient d’inclure les contacts des patients infectés dans le programme de vaccination.