Ce 7 novembre, le secteur non-marchand se mobilise dans les rues de Bruxelles, pour dénoncer le manque de moyens, la pression globale sur les structures et sur le personnel en particulier. Directeur général d’une fédération d’acteurs associatifs de l’aide et des soins aux personnes et médecin, je me joins à ces constats. Ils sont d’ailleurs partagés parmi les affiliés de ma fédération.
D’essentiels pendant la pandémie de Covid, ceux-ci sont redevenus, au mieux, un poste de coûts dans les différents budgets du pays la crise passée, au pire, une variable d’ajustement en période d’élaboration desdits budgets ou de conclave.
Plusieurs des secteurs représentés par ma fédération ont d’ailleurs besoin d’un refinancement, certes. Mais, creuser encore le déficit budgétaire à tous les étages de la maison Belgique n’est pas une solution non plus. Cependant, il y a de la marge pour améliorer l’efficience des soutiens publics dont dépendent nos structures.
Une étude très parlante : « Does investment in the health sector promote or inhibit economic growth ?(1) (Les investissements dans la santé favorisent-ils ou détériorent-ils la croissance économique ?) » montre combien un euro investi dans la santé, en rapporte, suivant les projections, de 1,17 à 2,4 en termes de croissance économique. D’autres secteurs non marchands comme l’éducation et la culture suivent cette même logique de rentabilité. Nier ces faits, c’est prendre une décision économiquement et socialement irrationnelle sur le moyen et le long terme.
Outre ce retour sur investissement, arrêter d’investir dans l’aide et les soins se paye cher et avec intérêts. C’est une dette cachée à effet retard. Si les différents niveaux de pouvoir du pays ambitionnent de réduire les dettes visibles ou cachées, à supporter actuellement ou dans le futur, alors poursuivre les investissements dans l’aide et les soins doit être le prolongement de cette volonté politique d’équilibrage budgétaire.
Rappelons aussi que les acteurs de l’aide, et des soins aux personnes, et le non-marchand dans son ensemble, ne proposent pas de simples prestations de services. Ils sont l’ossature de notre solidarité, de notre cohésion sociale et du bien-être collectif. Pour les plus vulnérables — enfants, personnes âgées, familles modestes — ces services sont tout sauf un luxe.
Les enveloppes budgétaires n’étant pas sans fond, il nous faut également optimiser notre utilisation des moyens disponibles. Des choix s’imposent. Ils doivent être rationnels et fondés sur des évaluations rigoureuses où le bien-être et la santé des citoyens sont au cœur des décisions. Saupoudrer des fonds au nom d’un consensus mou mène à une impasse : la frustration générale et un impact qui reste trop souvent faible. Une profonde réforme est le seul moyen acceptable de rationalisation : cela prend du temps et requiert des moyens pour la lancer.
Quant à l’utilisation sur le terrain des moyens publics investis, elle va de pair avec un contrôle logique de leur saine gestion. Mais nos directions sont-elles à ce point défaillantes que ce contrôle de gestion prenne parfois l’apparence d’un interventionnisme XXL ? Le haut niveau international de qualité de nos hôpitaux, par exemple, prouve le contraire. Les qualités managériales de nos directions associatives n’ont rien à envier aux secteurs marchands. L’esprit d’entreprise y est tout aussi présent, mais avec un « plus » : nous mettons l’humain au centre. Je défends cette vision de la société par rapport à un monde où l’argent est roi. Laissez-nous agir, l’argent public, ici, est entre de bonnes mains et, on l’a vu, le « retour sur investissement » est garanti. Faites-nous confiance !
Enfin, et c’est lié au point précédent, qu’on facilite la vie des acteurs du non-marchand. Des exigences bureaucratiques toujours plus nombreuses, venant de toutes les directions, sans coordination étouffent les équipes. Elles forcent les structures à détourner leur personnel de l’action vis-à-vis des bénéficiaires vers des tâches administratives de plus en plus complexes. Il est impératif de libérer nos équipes de ce carcan, pour qu’elles se consacrent pleinement à leur mission sur le terrain. C’est cela aussi, la saine utilisation de moyens.
Faire plus avec moins est un mythe, surtout dans des services à la population aussi vitaux que l’aide et les soins. Les burnouts en cascade sont là pour prouver qu’on n’y arrivera plus. Les investissements doivent donc y être maintenus, voire, augmentés dans plusieurs activités. Mais il est aussi essentiel d’optimiser chaque euro investi dans le non-marchand. Pour ce faire, il ne manque qu’un peu de courage politique pour mettre en œuvre les pistes de bon sens évoquées ci-dessus.
En définitive, il est temps de reconnaître l’apport fondamental du non-marchand dans notre société et notre économie, en particulier via l’aide et les soins aux personnes. Le non marchand est un pilier de justice, de résilience et d’équilibre social. C’est un investissement indispensable pour garantir une société plus juste, plus équilibrée et durable dans le temps.
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