Les maisons médicales au forfait pratiquent-elles une sélection des risques?

Cette interrogation surgit régulièrement dans les débats qui opposent les partisans des maisons médicales au forfait aux partisans de la médecine libérale à l’acte. Le service études et recherches de la FMM a réalisé un travail pour objectiver l’ampleur de la sélection des risques.

«Lorsque le modèle de financement au forfait est abordé, le problème de la sélection des risques par éviction des patients porteurs des pathologies les plus lourdes est souvent évoqué. Il s’agirait d’une conséquence naturelle d’un financement à la capitation», écrit le Dr Roger van Cutsem, médecin en maison médicale et analyste au service études et recherches de la Fédération des maisons médicales. «Le phénomène de sélection de risque dans le modèle forfaitaire est complexe. D’une part, il y a potentiellement un phénomène de recrutement à l’inscription des patients les plus fragilisés qui sont intéressés par un modèle financièrement très accessible. C’est ainsi que la mutualité Solidaris a montré qu’en Belgique les maisons médicales au forfait recrutent plus de patients en précarité que la moyenne observée au niveau de la population des quartiers où elles sont implantées. D’autre part, il y a le risque de sélection évoqué ci-dessus, via désinscription des patients les plus requérants de soins à l’initiative de structures qui voudraient alléger leur charge de travail ou dont la composition de l’équipe de soins ne permet pas une prise en charge adéquate.»

5 pathologies chroniques
Afin de réaliser cette étude (1), la FMM a comparé dans deux études antérieures les prévalences pour 5 pathologies: hypertension, diabète, bronchite chronique, épilepsie et dépression. Roger van Cutsem précise que le diagnostic de la dépression est moins objectivable et que la prévalence de l’épilepsie est beaucoup plus faible que celles des autres pathologies.

La première étude utilisée pour la comparaison, l’Enquête de santé (HIS) 2018, a été réalisée auprès de 9.753 belges de plus de 15 ans pour évaluer l’état de santé subjective de cette population, dont la présence de pathologies chroniques. 
La seconde, effectuée par le service études et recherches de la FMM a analysé la prévalence en 2019 des maladies chroniques au sein des maisons médicales participant au projet «Tableau de bord» (dispositif de collecte et d’analyses de données, développé par la FMM: NDLR). Dans ce cadre, les données de 98.711 patients inscrits dans 51 maisons médicales wallonnes et bruxelloises ont été analysées. 

Recrutement spécifique
L’auteur de l’étude a réalisé un ajustement selon l’âge et les prévalences observées en maisons médicales parce que la population soignée en maison médicale au forfait est significativement plus jeune que les populations régionales de référence. Il a aussi été tenu compte de l’impact de la précarité financière (statut BIM) sur les résultats, en utilisant des données issues de l’Atlas de l’agence intermutualiste.

Tableau 1: Comparaison des prévalences «Enquête de santé-HIS 2018» et «Tableau de bord des maisons médicales au forfait-FMM 2019», données ajustées pour l’âge et le sexe.
 

 

 

Région wallonne

 

 

Région bruxelloise

 

 

HIS 2018

FMM 2019 ajusté

Comparaison

FMM/HIS

HIS 2018

FMM 2019 ajusté

Comparaison

FMM/HIS

HTA

18,4%

23,2%

+ 26,3%

13,3%

18,1%

+ 36,6%

Dépression

8,4%

12,6%

+ 49,9%

7,7%

11,3%

+ 46,2%

Diabètes

6,6%

9,6%

+ 45,6%

5,9%

8,2%

+39,3%

Bronchite chronique

5,2%

6,5%

+ 24,2%

3,7%

3,1%

-17,6%

Epilepsie

1,0%

0,9%

-10,4%

0,9%

0,7%

-21,4%

En gras, les différences significatives sur base des intervalles de confiance (95%) fournis autour des prévalences de l’HIS 2018.

«En utilisant les résultats de l’Enquête de santé HIS 2018 comme données de référence, nous observons que les prévalences de l’hypertension artérielle, du diabète et de la dépression sont significativement plus élevées dans la population étudiée, soignée au forfait, que dans la population des régions wallonnes et bruxelloises, très majoritairement soignée à l’acte (voir tableau). Il en est de même pour la bronchite chronique mais uniquement en Wallonie. Aucune des pathologies étudiées n’a permis un constat inverse», peut-on lire dans le rapport. «Nous avons également montré que le recrutement d’une population plus précarisée était le principal responsable de la présence d’une population plus malade au sein des pratiques forfaitaires étudiées. Ces deux constats confirment l’hypothèse d’un recrutement spécifique à l’inscription d’une patientèle plus précarisée et donc plus à risque d’être porteuse de pathologies chroniques, au sein des maisons médicales au forfait étudiées.»
 
Double flux
L’auteur de l’étude estime qu’aucune donnée ne confirme l’hypothèse d’un phénomène de sélection des risques, via la non-inscription ou la désinscription des patients les plus lourds inscrits dans une maison médicale travaillant au forfait. «Pouvons-nous l’exclure pour autant? Clairement non!», répond le service études et recherches. «En effet, comme expliqué en introduction, les chiffres analysés reflètent potentiellement un double flux: recrutement à l’inscription d’une population plus précarisée, donc plus à risque de développer des pathologies chroniques, et désinscription potentielle de patients trop lourds par des équipes qui ne peuvent ou ne veulent pas assurer leur prise en charge. L’ampleur du premier pouvant totalement occulter le second. Nous pouvons conclure que s’il existe une éviction des patients nécessitant des soins lourds, ce phénomène est marginal et donc non observable dans notre étude. Soit qu’il s’agisse de situations très particulières et rares qui débouchent sur une désinscription exceptionnelle, soit que les équipes qui pourraient recourir couramment à cette pratique sont minoritaires dans l’échantillon.»

Le rapporteur précise que ces conclusions ne peuvent pas s’appliquer à toutes les maisons médicales mais seulement aux maisons médicales au forfait participant au projet «Tableau de bord». 
Les partisans de la médecine libérale à l’acte seront-ils plus nuancés sur le sujet suite aux résultats de cette étude menée par la FMM? Rien n’est moins certain, mais celle-ci a le mérite d’objectiver les phénomènes de sélection des risques. 

> Lire l'étude ici

  • 1.    Sélection de risque au sein des maisons médicales au forfait en Belgique.
    Mythe ou réalité ? Comparaison de la prévalence des pathologies chroniques au sein des populations wallonnes et bruxelloises et des patientèles de maisons médicales au forfait de la Fédération des maisons médicales, Dr Roger van Cutsem, médecin en maison médicale et analyste au Service études et recherches de la Fédération des maisons médicales. Décembre 2022.

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