En février 2022 Gauthier Saelens, le directeur général du Grand Hôpital de Charleroi annonçait son intention de recruter un philosophe. La volonté du groupe hospitalier via cette embauche était de répondre aux interrogations du personnel quant au sens à donner à leur travail. Un an après son entrée en fonction , Jérôme Bouvy, philosophe hospitalier au GHdC, nous fait un retour sur son expérience.
Il y a un an le Grand Hôpital de Charleroi (GHdC) engageait, une première en Belgique, un philosophe hospitalier. Quelques mois auparavant, la directrice du Département Infirmier, Marie-Cécile Buchin et le Directeur Général, Gauthier Saelens, qui voulaient apporter des solutions au mal-être de soignants après les deuxième et troisième vagues de Covid-19, terminaient une discussion sur le sujet en fin de journée....avant de dire en boutade : « Et si nous engagions un philosophe ? »
Aujourd’hui, Jérôme Bouvy, philosophe hospitalier, diplômé de philosophie de l’UCLouvain, ancien enseignant du cours de Philosophie et Citoyenneté, fête « ses » un an de travail.
Même si l’hôpital possède une Cellule « Qualité de vie au travail », il apporte autre chose comme il le dit en toute humilité : « Je veux participer à la création d’espaces de dialogue et rappeler que soigner ce n’est pas seulement poser des actes techniques. Il faut aussi pouvoir se donner du temps pour réfléchir en équipe aux sens des actes et des mots (guérir, santé, soigner, maladie...) et ne pas avoir peur de questionner ses propres pratiques voire sa vision du monde. C’est un métier à construire. Nous travaillons ensemble aussi sur la culture de l’institution. Les questions de sens ne viennent pas du philosophe mais du personnel lui-même.”
La question du sens à l’hôpital
Mais au fait, c’est quoi un philosophe hospitalier? Jérôme Bouvy se risque à une définition: « Ce n’est pas un professeur d’histoire de la philosophie, ni un coach de développement personnel, ni un psychologue ou encore un chercheur dans une fonction académique. Le rôle du philosophe hospitalier n'est pas simplement de "penser pour le personnel", depuis un bureau ou une estrade, mais surtout de "penser avec le collectif". Il y a donc deux enjeux : d’une part transmettre des savoirs issus de la philosophie et des sciences humaines et, d’autre part, s'exercer à penser collectivement par la pratique. Je me vois humblement comme animateur philo, un philosopheur, un lien pour et vers le monde académique qui donne à penser, avec humilité, là où c’est possible.”
Inévitablement, il aborde la question de la perte de sens du personnel soignant.
“Les sources du sens du travail sont de prendre soin des patients (c’est différent de prodiguer des soins), la solidarité avec les collèges (les plus proches), le professionnalisme et la fierté d’un métier....Evidemment aujourd’hui, des éléments troublent la question du sens comme la question de la rentabilité qui demande que l’on prenne “soin” des chiffres, l’esprit de concurrence entre les soignants et les institutions, le manque de reconnaissance et le procéduralisme.”
Les médecins curieux
Sur le terrain, les médecins appréhendent aussi la fonction : “Je vois parfois de la crainte. Actuellement, je travaille avec différents métiers, depuis l’infirmière jusqu’à la technicienne de surface. Les médecins me semblent plus difficiles à toucher. J’ai déjà été présenter ma fonction à l’occasion d’un GLEM ou auprès d’un pôle de soin. Les médecins me disent à cette occasion que c’est une fonction géniale mais la difficulté reste la mise œuvre opérationnelle de ces espaces de dialogue, alors que le temps semble souvent manquer et que les équipes sont sous pression.’’
La question éthique est inévitablement au coeur de son quotidien : “La pratique de l’éthique est une porte d’entrée. C’est une pratique de la discussion proche du dialogue philosophique, notamment quand il faut prendre une décision thérapeutique.”
Ce métier unique, il continue à le créer: "Il y a des philosophes qui interviennent lors d’une journée d’étude dans des hôpitaux mais je ne connais pas d’hôpital qui internalise une fonction de ce type pour le personnel. On innove. C’est pourquoi j’avance à tâtons, par essai et erreur. Malgré les difficultés du secteur, il me semble que s’arrêter pour penser collectivement répond aux besoins du personnel sur le terrain. ”
Discuter avec sa direction
Pour lui, la démarche de la direction est intéressante : “Dans le monde du soin, les institutions doivent s’outiller, pas nécessairement avec un philosophe, mais avec des acteurs pour ouvrir ces espaces d’échange et de discussion. Mon job sur le terrain correspond au job description qui m’avait été envoyé et je me réjouis qu’une telle confiance me soit accordée.”
Sa fonction peut inévitablement l’amener à soulever des questions qui fâchent : « J’explique évidemment à la direction des difficultés du personnel et les possibilités de faire évoluer certaines situations. La philosophie est un exercice de lucidité qui vise à formuler et à affronter les questions des acteurs de l’hôpital, à tisser des liens dans l’institution, mais également à lutter contres les stéréotypes des uns et des autres. »
Le changement de site prévu dans quelques mois sera un autre défi pour lui : « Ce déménagement est un nouveau défi pour les équipes avec les peurs que cela véhicule : le risque d’un espace moins humain parce que l’hôpital sera plus grand... Comme toujours, il faut affronter ces questions-là collectivement.”
Au quotidien, il crée des espaces de discussion : “Je souhaite dépoussiérer l’image de la philosophie et la présenter comme une pratique vivante. Je veux être un philosophe en mouvement au coeur du quotidien de l’institution. Évidemment, j’ai aussi conscience que l’on ne m’a pas attendu pour réfléchir à la question du sens à l’hôpital. Parfois, les personnes l’abordent d’ailleurs à la machine à café. Il est toutefois important, à côté de ces espaces informels, d’avoir des lieux formels avec des dispositifs et une forme de rigueur. Par ailleurs, réfléchir avec sérieux n’exclut pas l’humour et la bonne humeur.”
Une direction satisfaite
Le Directeur Général, Gauthier Saelens, est satisfait : « Dès que nous avons eu l’idée, cela a pris du temps parce que nous voulions trouver un philosophe qui comprenne bien qu’il devait être en appui du personnel. Nous voulions que les soignants soient aidés à réfléchir au sens de leur métier. Nous avons vu qu’il existait des philosophes au Québec et en France, mais jamais pour le personnel...parfois c’était pour les patients ou de la recherche académique.”
M. Bouvy est arrivé il y a un an. :“Il s’est fait apprivoisé par le personnel qui a fait appel à lui petit à petit. Il a lancé des initiatives : atelier lecture, atelier philo....Il fait réfléchir le personnel et toutes les structures de gestion de l’institution. Nous sommes enrichis par cette réflexion. Les médecins sont intéressés. Je sais qu’ils lui demandent de venir à de réunions de service ou pour écouter des questionnements de plusieurs groupes pour des questions multidisciplinaires. Il a aussi fait un lien important avec le comité d’éthique.”
Lire aussi: Le Grand Hôpital de Charleroi à la recherche d'un philosophe
Derniers commentaires
Hervé Godiscal
16 mai 2023il fut un temps où la philosophie les sciences et la médecine ne faisaient qu'un ....
Ce retour sera-t-il suffisamment porteur pour changer notre vision afin que ce mondes aille moins mal ?
Nathalie PANEPINTO
15 mai 2023La création d'un poste de philosophe hospitalier est une idée avant-gardiste. Par ailleurs ils ont fait l'effort d'évaluer leur projet un an après. Combien d'autres projets ne sont jamais évalués ? Peu d'employeurs élaborent des projets avec leur personnel. Cette idée fera probablement des émules.