Le 2 mai, les ministres Marcourt, Nollet et le bourgmestre de Charleroi, Paul Magnette, ont annoncé fièrement la création d’un centre de protonthérapie sur le site de l’Hôpital civil Marie Curie. Une révélation qui n’a pas manqué de faire réagir la KU Leuven et l’UCL, particulièrement heureuses de présenter en mars dernier, leur projet de centre de protonthérapie, qui verra le jour sur le site de l’UZ Leuven.
Faut-il vraiment deux centres de protonthérapie dans notre pays? Pour les promoteurs du projet wallon – les autorités politiques précitées, l’ULB, l’UMONS, l’ULg, l’UNamur et IBA –, le centre de protonthérapie qui sera édifié à Charleroi servira principalement à la recherche (70% de son activité) et, secondairement, au traitement des patients (30%). Il ne devrait donc pas, selon eux, faire concurrence au projet commun des hôpitaux (Saint-Luc, UZ Leuven et UZ Gent) et des universités catholiques (UCL et KU Leuven) dédié essentiellement au curatif.
«Dans la logique de décloisonnement qu’a insufflée la Wallonie à travers les pôles de compétitivité, et dans la logique de collaboration entre universités qui a présidé à la création de l’Académie de recherche et d’enseignement supérieur, j’ai fédéré universités et entreprises autour de la création, en Wallonie, et précisément à Charleroi, du premier centre européen de protonthérapie dédié tout à la fois à la recherche et au traitement thérapeutique de cancer», déclarait lors de la conférence de presse Jean-Claude Marcout. Le ministre de l’Economie et de l’Enseignement supérieur déplore le «revirement de l’UCL, qui a décidé de s’associer à la KU Leuven pour développer leur projet. C’est son droit mais je regrette qu’une université ne soit pas associée à notre projet. La porte est toujours ouverte.»
90 millions €
Le gouvernement wallon a décidé d’octroyer 47 millions € pour le centre de protonthérapie wallon. Pour le bourgmestre de Charleroi, la localisation du futur centre, à quelques mètres de l’Hôpital civil Marie Curie, offre un accès aisé pour les patients de Wallonie, de Bruxelles, de Flandre et de France et pour les différentes équipes de recherche. Le centre étant interuniversitaire, les projets de recherche et le traitement des patients seront effectués par des chercheurs et médecins travaillant dans les universités et hôpitaux partenaires.
Le centre de protonthérapie qui sera installé dans 4 ans sur le campus Gasthuisberg de l’UZ Leuven est financé, sur fonds propres, par l’UCL et la KU Leuven, à hauteur de 40 millions €. Il devrait prendre en charge entre 150 et 200 patients par an. Les promoteurs de ce projet espéraient, en mars, que le budget de 3,8 millions € consacré au traitement par protonthérapie des patients belges (actuellement soignés à l’étranger) revienne au centre UCL-KU Leuven pour financer les coûts de prise en charge des patients.
Moratoire
La hauteur des investissements prévus pour la création des deux centres, près de 90 millions €, a provoqué de vives réactions. «Il y a heureusement encore trop d’argent», ironise Zorgnet Vlaanderen, la coupole des hôpitaux flamands, dans un communiqué. «En 2007, le Centre fédéral d’expertise des soins de santé trouvait que la construction d’un centre d’hadronthérapie n’était pas justifié parce que le nombre de patients susceptibles de bénéficier de cette technique était trop peu élevé (rapport N°67B). Depuis, nous sommes passés dans notre pays, rapidement et sans scrupules, de zéro à deux centres.» Zorgnet Vlaanderen, qui déclare comprendre les motivations des promoteurs de ces centres – «stimuler la recherche et promouvoir l’exportation des appareils» – s’étonne que toutes les universités (belges) ne parviennent pas à conclure ensemble un accord à ce sujet. «De telles dépenses ne sont pas éthiques durant des périodes d’économies qui assèchent les patients et les hôpitaux», s’insurge Zorgnet Vlaanderen, qui demande à la ministre de fixer à un le nombre de centre et un moratoire sur ces appareils. «On le fait bien déjà pour des appareils beaucoup moins chers et plus nécessaires pour les traitements urgents.»
Réagissant rapidement à l’annonce de la création du centre wallon, l’Association belge de radiothérapie oncologique (ABRO-BVRO), l’Union professionnelle des médecins spécialistes en radiothérapie oncologique (GBS/VBS) et le Collège des médecins pour les centres de radiothérapie oncologique ont tenu à attirer l’attention des pouvoirs politiques et du public sur l’affectation des ressources destinées aux soins du cancer. «Actuellement, 180 à 200 patients par an (certaines tumeurs pédiatriques et cérébrales) pourraient être traités par protons en Belgique, soit seulement 0,5% des 35.000 patients pris en charge en radiothérapie chaque année. En regard du récent rapport 219 du KCE relatif à la centralisation des soins du cancer pour les tumeurs rares, la ‘dilution’ de ce petit nombre de patients sur deux centres (dont une soixantaine de patients potentiels en Wallonie à traiter sur le site de Charleroi) est paradoxale. Les indications de protonthérapie étant amenées à se développer à l’avenir, l’option d’un centre national cogéré (tant pour le volet clinique que scientifique) permettrait de les garder centralisées sur un site unique dont l’expertise professionnelle et les ressources technologiques seraient progressivement étoffées, et dont la viabilité économique serait meilleure», soulignent les Dr Olivier De Hertogh (ABRO et Union professionnelle) et le Pr Yolande Lievens (Collège des médecins).
Ils rappellent qu’ils demandent depuis des années un soutien aux investissements hospitaliers pour les IMTR (traitements en modulation d’intensité) et les IGRT (traitements guidés par l’image), au bénéfice du plus grand nombre de patients. «Il est bon d’avoir des projets d’avenir. Mais d’importantes questions de santé publique se posent aujourd’hui et doivent trouver réponse: l’un ne peut exclure l’autre, et un centre de protonthérapie ne peut être l’arbre qui cache la forêt. L’Association belge de radiothérapie oncologique, l’Union professionnelle et le Collège des médecins attendent des pouvoirs politiques que les besoins actuels des patients souffrant de cancer, que nous défendons depuis plusieurs années, soient pris en compte dans les budgets alloués par le Fédéral et les régions aux hôpitaux et aux services de radiothérapie oncologique.»
Un des promoteurs du centre wallon de protonthérapie comptait, selon nos informations, rencontrer une délégation de radiothérapeutes pour les rassurer. Selon cet expert, le financement prévu pour la création du centre ne se fera pas au détriment de celui de la radiothérapie. «Il s’agit d’un autre budget.»