Fin décembre, le groupe d'étude sur le reflux laryngo-pharyngé de la fédération mondiale des jeunes ORL réalisait une enquête sur la prise en charge du reflux laryngo-pharyngé (LPR). Environ 230 ORL européens et 70 généralistes ont répondu et complété l’enquête. La grande majorité des généralistes ayant participé exercent en Belgique ou dans le Nord de la France. Le Dr Jérôme Lejeune, qui a initié l'enquête , présente les premiers résultats.
La première différence significative survient dans la définition du LPR puisque la majorité des généralistes estiment qu’il s’agit d’une manifestation atypique de reflux gastroesophagien (RGO) avec lequel elle partage les mêmes mécanismes physiopathologiques. Les ORL, quant à eux, estiment que les deux pathologies partagent quelques mécanismes physiopathologiques mais diffèrent sensiblement sur bon nombre d’entre eux. Sur le plan de la littérature scientifique, le LPR serait d’avantage un reflux gazeux, accompagnant ou non un RGO sous-jacent, peu associé au pyrosis, et dont la grande majorité des épisodes de reflux surviennent en journée et en position debout. Cette différence aboutit notamment à des divergences de pratiques qui ont été mises en exergue dans notre étude puisque les médecins généralistes auraient d’avantage recours à la fibroscopie digestive dans la prise en charge diagnostique contrairement aux ORL. Actuellement, la place de la fibroscopie digestive reste mal définie dans la prise en charge du LPR. Quelques études suggèrent qu’elle est dans plus de 50% des cas normale (absence d’oesophagite) mais d’autres attirent l’attention sur la plus grande prévalence de métaplasie de Barrett chez les sujets souffrant de LPR en comparaison à la population normale. Actuellement, les récentes revues systématiques de la littérature en ORL proposent la prescription de la fibroscopie digestive chez les sujets souffrant de plaintes de RGO (pyrosis, régurgitations) et chez les personnes âgées chez qui ces plaintes peuvent être atténuées par le vieillissement du système nerveux et de la sensibilité qui en dépend.
Le LPR associé à des troubles ORL et pulmonaires
La majorité des ORL et des généralistes estiment que le LPR n’est pas associé au développement de l’hypersensibilité bronchique, des dysfonctions tubaires, des polypes, nodules et œdème de Reinke (cordes vocales) et des sténoses trachéales. Pourtant, un nombre grandissant d’études cliniques et expérimentales montrent qu’une association épidémiologique semble exister entre le LPR et le développement de ces troubles. Les généralistes estiment davantage que le LPR pourrait être impliqué dans le développement de rhinosinusites chroniques contrairement aux ORL qui n’y croient pas. La littérature fournit également bon nombre d’études qui suggèrent que le LPR pourrait avoir un rôle majeur dans le développement des rhinosinusites chroniques, notamment celles qui seraient résistantes au traitement médicamenteux. En accord avec la littérature, tant les généralistes que les ORL estiment que le LPR peut être associé à la toux chronique et à la dysphonie.
Sur le plan clinique, les ORL et les médecins généralistes estiment que les remontées acides et les plaintes de brûlants sont fortement associées au LPR. Cette donnée va à l’encontre de la littérature et de l’expérience clinique de nombreux laryngologistes puisque ces plaintes seraient absentes chez plus de 50% des patients avec LPR et leur absence ne doit impérativement pas exclure le diagnostic.
Une ou deux fois par jour ?
Le diagnostic est essentiellement clinique dans les deux groupes d’étude et la confirmation du diagnostic se fait par la réponse à un traitement empirique utilisant des inhibiteurs de la pompe à proton durant 1 à 3 mois. Notons que 28,1% des généralistes et 23,5% des ORL réfèrent le patient en gastroentérologie. Pour le traitement, les généralistes utilisent davantage les IPPs une fois par jour, tandis que les ORL les prescrivent plus deux fois par jour et ce, en regard des recommandations ORL basées sur des études comparatives (IPP une fois par jour versus deux fois par jour). La durée du traitement varie sensiblement entre les groupes puisque les ORL prescrivent un traitement empirique plus long (2-3 mois) que les généralistes (1 mois).
La durée du traitement a souvent fait l’objet de débats scientifiques. Si, actuellement, il est recommandé de le prescrire au moins 3 mois, certaines études en cours (notamment au CHU Saint-Pierre) montrent qu’un traitement adéquat et personnalisé en fonction du profil de reflux à la pH-impédance métrie de 24h pourraient améliorer significativement les symptômes au terme de 4 semaines de traitement ; lesquels continueraient à s’améliorer légèrement entre le 1er et le 3e mois de traitement. De futures études sont nécessaires pour explorer la durée optimale du traitement empirique. Enfin, 85% des praticiens, quelle que soit la spécialité, recommande un régime diététique ce qui est reconnu pour potentialiser le traitement.
Un examen très peu utilisé
La pH-impédance métrie de 24h, qui permet de poser un diagnostic de LPR et de caractériser celui-ci (acide, faiblement acide, non-acide, mixte) reste très peu utilisé pour diverses raisons: les généralistes estiment davantage que l’examen est trop gênant pour le patient, lesquels ne le tolèreraient pas ; tandis que les ORL ne connaissent pas le bénéfice de cette procédure. Environ 30% d’entre eux s’estiment incapable d’interpréter le compte rendu de ce test. Ce point mérite qu’on s’y attarde à l’avenir car un courant nouveau se développe en ORL quant à la prise en charge du LPR: l’utilisation de la pH-impédance métrie de 24h comme outil diagnostic et thérapeutique. En effet, le patient ayant des plaintes conséquentes de LPR pourrait recevoir un traitement personnalisé en fonction du type de LPR dont il souffre (acide versus non-acide versus mixte) associant IPPs mais également alginate, magaldrate et surtout un régime diététique adéquat. L’utilisation exclusive et aveugle des IPPs (souvent prescrits sur le long terme) sans investigation du type de LPR et avec les effets indésirables qui les accompagnent (sur le long terme) pourrait bientôt appartenir au passé.
Manque de compliance ou mauvaises habitudes ?
En cas de résistance au traitement, la majorité des ORL réfèrent le patient chez le gastroentérologues tandis que les généralistes procèdent à des investigations complémentaires (pH métrie, endoscopie digestive, etc.) avant de référer le patient pour le suivi clinique. Seuls 17,8% des ORL et 8,6% des généralistes connaissent l’existence du reflux non-acide ou mixte. En regard de la littérature ORL, les principales causes de résistance au traitement pourraient être le manque de compliance thérapeutique (patients prenant leur IPP en mangeant ou après les repas; patients ne respectant pas le régime) et l’inadéquation du traitement en fonction du profil de LPR (IPPs pour LPR non-acide). Les généralistes, qui connaissent généralement leurs patients, estiment à juste titre que le manque de compliance est probablement la cause numéro 1 de résistance tandis que les ORL estiment que c’est le régime et les mauvaises habitudes de vie. Respectivement 10,1 et 27,4% des généralistes et ORL estiment qu’ils connaissent suffisamment bien le LPR que pour le prendre en charge avec efficacité (69,9% et 54,0% s’estimant peu informés sur le sujet).
Les résultats de la partie Européenne de cette étude seront publiés prochainement dans une revue internationale d’ORL et d’autres analyses de groupes (entre ORL Asiatiques, Américains et Européens) seront menées afin de mieux comprendre les différences de pratiques entre spécialistes issus du monde entier et les zones d’ombre qui méritent sensibilisation pour la prise en charge d’une pathologie qui pourrait toucher entre 10 et 15% de la population.