L’information, la prévention et la déstigmatisation en matière de santé mentale sont des enjeux majeurs de santé publique. PsyLab est une chaîne YouTube au ton volontaire décalé. Animée par deux psychiatres nordistes, cette chaîne aborde diverses questions autour de la psychiatrie et de la santé mentale, en particulier à travers leurs illustrations dans le cinéma, les séries et les jeux vidéo. Présentation d’une psychiatrie 2.0 dans le cadre du congrès de l’Encéphale*.
PsyLab, c’est près de 2 millions de vues sur YouTube et plus de 50.000 abonnés. À l’origine de cette chaîne pensée pour démystifier les maladies mentales et qui s’adresse surtout au grand public, deux psychiatres, le Lillois Christophe Debien, ancien chef de service des urgences psychiatriques du CHRU Lille et Geoffrey Marcaggi, qui pratiquait à Maubeuge.
L’interaction entre les séries et les troubles mentaux est un vaste sujet, qui rappelle à quel point le deuxième âge d’or des séries, comme l’appelle Christophe Debien, se caractérise à la fois par son foisonnement créatif et la justesse de son regard sur la société. On peut «s’amuser» à décrire des personnages de séries atteints de troubles mentaux, correspondant à autant de vignettes cliniques, pathologie par pathologie, au point que les animateurs de cette chaîne plaidaient pour que les séries soient utilisées dans l’enseignement. Elles permettent en effet de passer au-delà de la relative froideur de la sémiologie «classique», pour avoir une fenêtre sur l’individu vu dans la vie «réelle», dans la complexité de son quotidien et de ses interactions sociales. «L’intérêt majeur de ce média est qu’il est suivi essentiellement par une population jeune, de 15 à 35 ans, ce qui est intéressant en termes de prévention», souligne Christophe Debien.
La chaîne propose quatre programmes. «Fovéa» décrypte un film, une série ou un jeu vidéo et la façon dont celui-ci éclaire un concept-clé de la psychiatrie, «Psychoptik» décortique une maladie ou un concept, «Psyché » fournit une réponse courte à une question (l’effet placebo, la psychothérapie…) et «Psystory» met en scène l’histoire de la psychiatrie.
Des descriptions d’une justesse étonnante
À titre d’exemple, on se souviendra de la représentation précise du trouble bipolaire dans la série «Homeland», de l’interprétation remarquée de Cillian Murphy dans la peau du truand Thomas Shelby («Peaky Blinders»), en proie à un état de stress post-traumatique au retour de la première guerre mondiale, ainsi que des attaques de panique du non moins truand Tony Soprano qui le conduiront à se faire prendre en charge pour un épisode dépressif majeur («The Sopranos»). Le PsyLab salue d’ailleurs tout particulièrement cette dernière performance, qui permet d’aborder dans ses différents épisodes de nombreux aspects de la clinique de la dépression. La psychothérapie est également abordée par certaines séries, et est même l’objet de la série «In treatment».
La récente série de Netflix «Atypical»
Certaines pathologies sont rarement abordées avec autant de justesse que dans les séries, y compris dans le cinéma et la littérature. En témoigne la toute récente série de Netflix «Atypical», décrivant avec humour le quotidien d’un patient autiste «de haut niveau» de 18 ans en proie aux affres de la découverte de la vie sentimentale, avec ce que cela peut impliquer d’implicite incompréhensible pour lui, d’absurde et de douloureux. Citons également la série «To The Bone», qui affronte crument la question trouble du comportement alimentaire.
Une pathologie semble cependant encore peu accessible pour les scénaristes de série: la schizophrénie. Ce qui est également vrai dans le cinéma. La désorganisation du discours et le caractère floride et polymorphe dans ses thèmes et ses mécanismes du délire paranoïde rendent difficile l’adéquation d’un personnage atteint de schizophrénie avec un récit qui soit agréable à suivre… Mais les animateurs de PsyLab signalent cependant la récente représentation d’une suspicion d’un cas de schizophrénie dans la série «Legion», sortie en 2017.
Rembourser les séries?!
Enfin, sur la question du suicide, les animateurs de la session ont salué la série «13 reasons why», bien qu’ils en regrettent la représentation peut-être trop explicite du passage à l’acte suicidaire. Selon eux, une utilisation «thérapeutique» de cette série, autour de séances de visionnage accompagnées par des soignants, pourquoi pas dans un hôpital de jour dédié aux adolescents, pourrait tout à fait s’envisager! À côté de ces analyses, ils s’attaquent également à des vidéos éducatives, notamment sur le suicide, une série qui a cartonné fin de l’année dernière, juste après le suicide de Robin Williams. Pour cette émission, ils se sont appuyés sur la série «Docteur Patch» et sur le film «The Virgin Suicides».
Déstigmatisation de la psychiatrie
Certes, la représentation de la folie dans l’art n’est pas nouvelle, bien entendu. Mais les séries actuelles sont diffusées massivement à un niveau qui n’est égalé par aucun des autres supports artistiques. Durant cette session, certains personnages montrés à l’écran étaient reconnus sans hésiter unanimement par l’ensemble de la salle. Ces représentations non caricaturales des pathologies mentales pourraient ainsi contribuer à la déstigmatisation de la psychiatrie auprès du grand public.
Bref, les séries seraient de véritables outils de santé publique, d’enseignement et de formation continue. Des séminaires d’enseignement utilisant des séries comme matériel pédagogique existent d’ailleurs déjà (notamment autour de la série «Seinfeld» aux États-Unis). À quand la déduction du coût de Netflix dans les frais professionnels ou la création d’un organisme de formation continue dédié?
> www.youtube.com/LePsyLab
*Marcaggi G, Debien C. Le PsyLab – Séries télévisées: vignettes cliniques 2.0? 16e Congrès de l’encéphale, Paris.