Quelle est la responsabilité sociétale environnementale (RSE) des hôpitaux au niveau de leur consommation énergétique ? Cette question d’actualité a été posée lors d’une table ronde organisée durant les Journées de l’architecture en santé. Un échange de vues instructif et disruptif.
Jean-Luc Régal (président de l’Association francophone des responsables techniques et de sécurité des institutions hospitalières) rappelle que la ventilation (HVAC), la production de chaud et de froid représentent plus de 60% de la facture énergétique annuelle d’un hôpital. « Éthiquement et techniquement, il y a un souci. L’énergie est un bien précieux. Partout où on peut ne pas la consommer, la capter, la stocker, il faut vraiment se poser la question de sa bonne utilisation. Alors qu’un hôpital à un besoin simultané de chaud et de froid et représente donc à ce titre une opportunité énergétique très intéressante, je remarque que certains bureaux d’études réfléchissent encore comme il y a 50 ans. Par exemple, il est encore tout à fait actuel de ne pas récupérer la chaleur de condensation des machines de production d’eau glacée. C’est devenu inacceptable sur le plan éthique, au même titre que de rincer les cuvettes de WC avec de l’eau potable. On pose des choix techniques qui ne correspondent plus à l’époque actuelle.» (…)
Investissements à longs termes
La limite éthique est-elle liée à la performance du savoir des techniciens ou au budget qu’il faudrait mobiliser pour proposer de nouvelles solutions ? « Les deux, mais aujourd’hui la direction financière n’hésite pas investir si le temps de retour sur investissement se situe dans les 3 à 5 années. Au-delà de cette période, c’est plus compliqué… Il y a un problème de ressources qui fait que nous sommes quasi obligés de faire confiance à des bureaux d’étude qui, c’est un avis personnel, sont souvent défaillants et qui n’ont pas de vision sur l’avenir», commente le responsable énergie du Chirec.
« Dans un hôpital, 50% à 70% de la production d’eau chaude est faite en pure perte. Il faut changer les comportements », soutient Stéphane Vermeulen (VK architects + engineers). «Il faut repenser les choses. Par exemple, est-ce nécessaire de produire de l’eau chaude de façon centralisée, de lui faire parcourir 300 m dans les canalisations ? Il faut oser remettre en question les besoins et demandes. Faut-il absolument de l’eau chaude partout et si vraiment nécessaire le produire qu’à proximité. (...)
Plus globalement, au niveau architectural il y a encore beaucoup de choses à faire. Certaines parties d’un hôpital sont plus faciles à gérer au niveau énergétique : les consultations, la logistique, les unités d’hospitalisation… On n’arrivera de toute manière pas à l’objectif zéro émission fixé pour 2028 par l’Europe car le bloc médico-technique, qui représente une grande surface, est terriblement énergivore. Il ne suffira pas d’installer des milliers de panneaux solaires pour arriver à l’objectif zéro émission. Les ingénieurs vont devoir trouver d’autres solutions avec des systèmes hybrides et profiter justement des échanges de production de froid et de chaud, 24h/24 7J/7, par le biais de pompes à chaleurs (PACS), d’échangeurs et de réservoirs de stockage… J’espère que l’on va arriver à créer un hôpital positif pour l’énergie.»
Hôpital universitaire de Bruxelles
Pour Francis De Drée, directeur général adjoint de l’Hôpital universitaire de Bruxelles, il faut se demander si chaque hôpital doit se charger lui-même de gérer son chantier énergétique. «Cela demande une technicité très importante. Un hôpital anglais a développé une ferme de panneaux photovoltaïques pour générer l’énergie dont il a besoin. Est-ce le rôle d’une institution de soins de réaliser ce type de montage ? N’aurait-on pas intérêt pour certaines techniques à avoir des logiques de collaboration pour pallier une absence de ressources, de moyens ou d’expertise ? »
Francis De Drée souligne que le budget compensatoire qui a été versé aux hôpitaux par l’État pour supporter l’augmentation du prix de l’énergie a été réparti en fonction du nombre de lits. «Ce n’est pas le choix qui a été fait vis-à-vis des individus. L’État a soutenu ceux qui n’avaient pas de contrat fixe et devaient faire face à des surcoûts énergétiques très importants. Un critère différent a été pris pour le secteur hospitalier.» (...)
AZ Zeno
« Pour notre hôpital de 350 lits, ouvert il y a cinq ans, la facture énergétique s’élève à 5 millions d’euros par an. Il consomme plus d’énergie l’été que l’hiver », témoigne Patrice Buyck, directrice générale de l’AZ Zeno. « Chaque hôpital doit entreprendre des actions. Par exemple, dans notre institution, nous utilisons de l’eau non potable pour les toilettes. Nous utilisons aussi la géothermie et les panneaux solaires. D’ici la fin de l’année, nous serons indépendants à 63% pour notre énergie. Les hôpitaux doivent unir leurs efforts, mais chaque institution peut agir à son niveau. Nous espérons, par exemple, pouvoir acheter encore plus de panneaux solaires pour pouvoir partager les bénéfices de cette démarche avec le personnel de l’hôpital .»
Patrice Buyck estime que le secteur réfléchit encore de façon très conservative dans la façon de concevoir un hôpital. «Par exemple, on fait venir les patients en voiture à l’hôpital, mais on ne se demande pas si l’on pourrait déplacer les soins vers le patient. Ce qui réduirait l’impact énergétique.»
Une réflexion qui, comme l’a souligné le modérateur de la table ronde, le Dr Frédéric Thys, interpelle sur le futur de l’hôpital : sera-t-il toujours un lieu physique, ne doit-on pas imaginer un nouveau concept d’hospitalisation, travailler davantage en ambulatoire, améliorer l’expérience patient, celle du personnel et le rôle du visiteur ? Un sujet qui aura certainement interpellé les 500 participants aux premières Journées de l’architecture en santé organisées en Belgique ces 27 et 28 mars.
> Retrouvez l’intégralité de l’article dans le journal Le Spécialiste du 5 mai