Quels professionnels de la santé sont aussi des pros du clavier ? La vitesse de frappe peut-elle vraiment contribuer à alléger la pression administrative qui pèse sur le secteur ? Des chercheurs de l’Amsterdam UMC se sont penchés sur la question et les résultats de leurs travaux ont été récemment publiés dans les pages du BMJ.
« La rédaction de notes médicales est une réalité à peu près incontournable pour tous les travailleurs de la santé. De nos jours, elle se fait généralement directement dans le dossier électronique, qui offre un aperçu actualisé et interdisciplinaire de l’information médicale d’un patient donné. Le recours intelligent à ce dossier électronique peut non seulement améliorer la qualité des soins, mais aussi rendre possible un couplage inédit des données de santé. C’est tout bénéfice pour la recherche au niveau national », explique une équipe de médecins néerlandais dans l’édition de Noël du BMJ, qui est l’occasion chaque année de traiter des sujets un peu plus « légers » avec tout le sérieux scientifique qui caractérise la publication.
« En dépit – ou peut-être à cause – de l’introduction du dossier médical électronique, les travailleurs de la santé sont toutefois confrontés à une charge administrative grandissante. Certains consacrent aujourd’hui jusqu’à 50 % de leurs journées à des tâches de ce type dans le cadre du dossier-patient, ce qui débouche sur une moins bonne satisfaction professionnelle. Dans le contexte d’une charge de travail typiquement élevée, la pléthore de tâches administratives (dont la rédaction de notes médicales) fait aujourd’hui de la dactylographie une compétence incontournable pour tous les professionnels médicaux. »
« Nous nous sommes demandé si la vitesse de frappe pouvait contribuer à alléger la charge administrative qui pèse sur ces travailleurs. Nous nous sommes aussi intéressés au lien éventuel entre le travail au clavier et la pression administrative perçue dans le secteur des soins », expliquent les Drs Ewoud Baarsma et Alex Schuurman.
Pas de différences entre hommes et femmes
Les chercheurs ont développé un test de dactylographie consistant à recopier le plus rapidement et le plus précisément possible une histoire sur le Père Noël en l’espace d’une minute maximum, qui a été soumis à 2.690 collaborateurs de l’Amsterdam UMC. En analysant les plus de 1,3 millions de frappes obtenues par ce biais, Schuurman et Baarsma ont relevé une vitesse de frappe moyenne de 60,1 mots par minute, avec des extrêmes de 8 et 136 mots par minute. Les participants de 30 ans ou moins étaient près de deux fois plus rapides que les plus de 60 ans, et ceux qui avaient suivi un cours de dactylographie affichaient une vitesse de frappe de 20 % supérieure en comparaison avec les autres. « Nous n’avons pas observé de différences entre hommes et femmes », précise encore le Dr Schuurman. « Par contre, les pros du clavier se concentraient clairement dans les services de médecine interne et de neurologie, tandis que les participants les plus lents étaient les collaborateurs du service de microbiologie. »
Cette relative lenteur n’empêchait pas ces mêmes microbiologistes d’être – avec les pathologistes, les radiologues et le personnel administratif – les travailleurs les moins insatisfaits de leurs tâches administratives. À l’autre extrême, leurs collègues gynécologues étaient ceux qui s’en plaignaient le plus. « Globalement, le score de satisfaction le plus faible était observé chez les médecins ; les infirmiers, autres soignants et chercheurs étaient un peu moins frustrés par leur charge administrative. Il n’y avait par ailleurs aucun lien entre la vitesse de frappe et la pression administrative perçue. Notre étude ne permet donc pas de confirmer l’hypothèse que les compétences dactylographiques seraient synonymes d’une plus grande satisfaction au travail », conclut le Dr Ewoud Baarsma.
Le score de pression administrative moyen s’élevait à 47 sur 100, ce qui est nettement insuffisant. « Ce chiffre indique clairement qu’il s’agit d’un aspect à améliorer, par exemple en simplifiant ou en accélérant le déroulement de certaines tâches administratives incontournables par des méthodes d’introduction alternatives comme la dictée vocale ou l’automatisation des processus », enchaîne le Dr Schuurman. Les deux chercheurs plaident toutefois surtout en faveur d’une suppression des tâches administratives sans réelle utilité.
Les prestataires plus âgés désavantagés
« Notre conclusion ? Nous avons observé d’importantes différences d’une discipline à l’autre et nous avons aussi constaté que, dans un monde de plus en plus informatisé, les travailleurs d’un certain âge sont globalement désavantagés. Ces résultats peuvent contribuer à alimenter des recherches futures sur l’impact de la saisie au clavier et de l’introduction des données sur le travail quotidien des travailleurs de la santé, qui devront livrer des données plus approfondies quant aux moyens d’améliorer ces processus et, si possible, de booster également la satisfaction au travail. Ces informations pourraient s’avérer précieuses pour éclairer la mise en place de modules d’entraînement visant à accroître la vitesse de frappe et pour stimuler l’implémentation de méthodes alternatives d’introduction des données afin de remédier à ce déséquilibre », concluent les auteurs dans les pages du BMJ.