Malgré des financements conséquents, l’Union européenne peine à clarifier l’impact réel des fonds alloués à la transformation numérique des systèmes de santé des États membres. Un récent rapport de la Cour des comptes européenne met en lumière un manque de transparence et de coordination qui freine les progrès.
Entre 2014 et 2027, l’Union européenne a mobilisé plus de 16 milliards d’euros pour soutenir la transition numérique des soins de santé, notamment via la politique de cohésion (2,4 milliards d’euros) et la facilité pour la reprise et la résilience (13,6 milliards d’euros). À ces sommes s’ajoutent d’autres fonds issus de programmes spécifiques. Pourtant, certains États membres peinent à mobiliser ces ressources.
«Les fonds européens destinés à la transition numérique des soins de santé ont été fournis dans le cadre de divers programmes gérés par différents services de la Commission européenne et soumis à différentes règles et modalités de gestion», a déclaré Joëlle Elvinger, la Membre de la Cour responsable de l’audit. «Cela a posé des difficultés à certains États membres: d’abord pour déterminer les fonds disponibles, puis pour demander des financements.»
Un manque de suivi global
Bien que des initiatives concrètes aient vu le jour dans des pays comme l’Espagne, Malte et la Pologne, les auditeurs relèvent une absence inquiétante de vue d’ensemble. Ni la Commission européenne ni la majorité des États membres ne disposent d’un inventaire précis des fonds effectivement utilisés pour la transition numérique des soins de santé.
Ce manque de transparence affecte également les indicateurs de suivi. L’eGovernment Benchmark et l’indicateur de santé en ligne, récemment mis en place, évaluent des aspects similaires de la transformation numérique, comme l’accès aux dossiers médicaux électroniques. Mais leurs méthodologies divergentes limitent leur efficacité. Pour la Cour des comptes, la Commission doit d’ici 2026 fournir des données plus précises et cohérentes afin de permettre une meilleure évaluation des progrès.
Des projets efficaces, mais limités
Dans les pays audités, les projets financés par l’UE ont néanmoins contribué à des avancées intéressantes . Les auditeurs ont constaté que les projets audités dans les pays sélectionnés (l’Espagne, Malte et la Pologne) contribuaient bel et bien à la mue numérique des soins de santé. Par exemple, un projet portait sur l’amélioration de la télésurveillance des maladies chroniques, tandis qu’un autre a soutenu la création d’une plateforme nationale de santé électronique, le passage au numérique des hôpitaux et leur connexion à la plateforme nationale. Ces initiatives montrent que, lorsqu’ils sont utilisés, les financements européens peuvent transformer les systèmes de santé. Mais ces exemples restent ponctuels, freinés par des capacités administratives limitées et des difficultés à obtenir des cofinancements nationaux.
Une ambition politique entravée par la complexité
Depuis plus de 20 ans, l’Union européenne promeut la santé numérique, principalement via des recommandations non contraignantes. La crise de la COVID-19 a accéléré la mise en œuvre de mesures plus strictes et renforcé l’urgence de la transformation numérique. Pour autant, les obstacles administratifs et le manque de coordination nuisent à la réalisation des objectifs fixés par le « programme d’action pour la décennie numérique à l’horizon 2030 ».
Des attentes citoyennes élevées
Selon un Eurobaromètre de 2023, 76 % des citoyens s’attendent à ce que les technologies numériques aient une incidence décisive sur leur capacité à accéder à des prestations de santé (par exemple la télémédecine et l’intelligence artificielle pour poser des diagnostics) d’ici à 2030, y compris dans des pays de l’UE dont ils ne sont pas résidents.. Par ailleurs, 88 % des participants à une consultation publique de la Commission européenne jugent essentiel de pouvoir accéder à leurs données de santé sous forme électronique.
Le rapport spécial 25/2024 «Transition numérique des soins de santé – Le soutien de l’UE est globalement efficace, mais les États membres peinent à utiliser les fonds» est disponible sur le site internet de la Cour. Il s’inscrit dans la continuité du rapport spécial sur les actions de l’UE dans le domaine des soins de santé transfrontaliers, publié par la Cour en 2019, qui concluait que les citoyens européens étaient mieux informés des soins de santé transfrontaliers, mais que pour certains, l’accès à ces informations restait difficile.