Au cœur des enjeux actuels des soins de santé à Bruxelles, Karel Van De Sompel, à la tête de la fédération Gibbis depuis 9 mois, éclaire les principaux défis et opportunités auxquels le secteur est confronté. Face à un budget 2024 plus serré et à la nécessité d'améliorer l'efficacité des soins, l'optimisation de la prestation de services devient cruciale. Dans cette entrevue exclusive, M. Van De Sompel partage sa vision stratégique, ses espoirs et les réformes nécessaires .
Quels sont les enjeux prioritaires pour Gibbis pour les prochains mois?
Karel Van De Sompel : Le budget 2024 des soins de santé retient toute notre attention. Le fait que la norme de croissance n’est que de 2% (au lieu de 2,5% en 2023, NDLR) réduit la marge pour le secteur. Nous faisons ce que nous pouvons pour protéger notre secteur, mais la marge est quasi inexistante (lire Le Spécialiste N°210). Solidaris réclame d’ailleurs une norme de croissance de 3% pour le budget 2025.
Face à cette situation, j’avance deux solutions. Nous devons être plus efficaces dans l’organisation des soins et celle-ci doit être réformée en profondeur. C’est indispensable pour évoluer dans un cadre budgétaire tellement étroit. Nous devons garder un esprit ouvert pour transformer notre système des soins de santé en gardant à l’esprit qu’il est performant. En collaboration avec les médecins, nous devons trouver des moyens plus efficaces pour délivrer les soins aux patients.
Des réformes sont déjà en cours, prenons celles de la nomenclature ou des réseaux hospitaliers locorégionaux. Pensez-vous qu’elles vont encore beaucoup progresser avant la fin de la législature ?
Non, ces dossiers ne vont plus beaucoup avancer d’ici les élections. Dans notre Mémorandum, qui sera présenté le 21 novembre aux partis politiques, nous avons développé des visions à moyen et long termes. Nous formulons 65 propositions. En tant que Gibbis, nous visons à ce que les citoyens bruxellois considèrent à l’horizon 2035 que le système de santé bruxellois est un des meilleurs au niveau européen. Nous devrions atteindre cet objectif. Nous disposons de trois centres académiques sur le territoire. Nous avons de nombreuses infrastructures et expertises. La Région bruxelloise a également ses propres spécificités : la précarité, la multiculturalité, le multilinguisme… Rappelons également que 36% des usagers des hôpitaux bruxellois n’habitent pas Bruxelles. Nous ne pouvons pas perdre cette attractivité liée à l’expertise de nos prestataires.
Dans notre Mémorandum, nous nous focalisons sur 3 axes. Premièrement, au niveau de l’offre, nous demandons que Bruxelles ait une programmation d’au moins 15%, sans se limiter au nombre d’habitants qui, si on en tenait compte, réduirait notre programmation à 10 ou 11%. En outre, il est important d’avoir à Bruxelles un focus sur la santé mentale parce que nous sommes à la traîne par rapport aux autres régions.
Deuxièmement, nous voulons augmenter l’encadrement au lit du patient. Selon le KCE, aujourd’hui, cet encadrement est de 1 ETP infirmier pour 9,4 patients. Pour assurer la sécurité des soins, l’OMS estime qu’il faut 1 ETP pour 8 patients. Nous demandons d’avoir 1 ETP en plus par service pour le personnel soignant. Afin d’alléger le travail des infirmiers, nous réclamons également un demi ETP logistique par unité.
Se pose la question de l’attractivité du secteur de la santé bruxellois pour les futurs diplômés et les travailleurs et pas seulement pour les soignants.
Le secteur de la santé attire moins les travailleurs qu’autrefois. Nous avons élaboré un Plan attractivité parce que nous n’allons pas pouvoir résoudre rapidement le problème structurel de la pénurie de main d’œuvre lié aux départs à la retraite de nombreux travailleurs durant les 25 prochaines années. Pour attirer des jeunes, il faut organiser une campagne nationale de recrutement. Il est aussi nécessaire de prévoir des incitants financiers pour convaincre des employés de travailler à Bruxelles et compenser les problèmes de mobilité, de coût du logement… Sans compter l’enjeu pour ces travailleurs de parler plusieurs langues.
Il faut également garder dans nos institutions les personnes qui y travaillent, dont celles qui y effectuent des stages. Nous demandons une indemnité de 350 euros par mois par travailleur pour éviter la fuite de certains talents.
Réformer le système ?
Nous estimons qu’il faut réorganiser notre système de soins de santé. C’est le troisième axe de notre plan d’action. Par exemple, nous utilisons actuellement les barèmes Ific. Nous devons les repenser. Il faut les adapter, voire changer ce système en profondeur pour que nous puissions mieux développer la multidisciplinarité au sein des services tout en gardant la qualité des soins. Nous manquons actuellement de flexibilité pour pouvoir offrir de l’autonomie de gestion aux chefs de service. En Belgique, nous essayons toujours d’adapter à la marge nos modes de fonctionnement. Cela part d’une bonne intention, mais parfois il faut repartir d’une page blanche.
Les hôpitaux publics bruxellois ont rejoint Gibbis il y a près d’un an. Cette intégration se passe-t-elle bien ?
Les intérêts et les défis des hôpitaux privés et des hôpitaux publics sont similaires. Depuis le regroupement de ces hôpitaux au sein de Gibbis, les décisions ont été prises de façon consensuelle. Parfois, nous avons des débats internes, un peu chauds. C’ est toujours intéressant. Il est nécessaire de pouvoir discuter en profondeur de certains dossiers.
Vous avez engagé du personnel pour accompagner le développement de votre fédération ?
Notre équipe est passée de 12 à 16 personnes qui ont une véritable expertise et de l’expérience dans le secteur des soins de santé.
Vous avez exercé d’importantes reponsabilités dans le secteur pharmaceutique durant des années. Est-il facile de passer de l’industrie à la direction générale d’une fédération qui regroupe 70 institutions de soins ?
Je suis très reconnaissant d’avoir pu développer durant 35 ans de multiples compétences dans le secteur pharmaceutique, mais travailler dans le secteur des soins de santé bruxellois est particulièrement rafraichissant. Je me sens particulièrement impliqué dans certains dossiers parce que le lien avec le patient est encore plus clair. L’impact que nous pouvons avoir au bénéfice de la population est plus évident que dans le pharma. Par ailleurs, au niveau d’une fédération, la prise de décision est complexe parce que la concertation a une place importante dans le système belge. En étant constructif, on peut avoir un impact positif. Si on polarise les débats, on n’avance pas. Je préfère travailler dans un système complexe que dans un système binaire. Notre pays se distingue à cet égard de nombreux autres pays. Le processus décisionnel est plus long, mais à la fin on est presque assuré d’avoir le support de toutes les parties prenantes.