La santé financière des hôpitaux inquiète depuis plusieurs années déjà, même si l'analyse des comptes de 2019 opérée par la banque Belfius pour sa 26e édition de l’analyse sectorielle des hôpitaux généraux en Belgique présente une légère amélioration. Le rapport MAHA 2020 est sans appel : une réforme structurelle du financement des hôpitaux paraît essentiel.
La crise sanitaire actuelle a ébranlé un système déjà fragilisé: elle doit permettre d'amener une réforme structurelle du financement des soins de santé, estiment mercredi les analystes de la banque Belfius, les fédérations du secteur, mais aussi le ministre de la Santé publique Franck Vandenbroucke.
Les premières projections de Belfius concernant l'impact de la crise sanitaire laissent entrevoir "des turbulences d'une ampleur sans précédent pour le secteur". Les hôpitaux risquent de subir une perte courante de plus de 2 milliards d'euros, les compensations promises par les pouvoirs publics seront donc indispensables pour compenser ses pertes.
Elles ne suffiront cependant pas à assainir un secteur que l'on sait fragilisé depuis des années, "une réforme structurelle de leur financement paraît essentielle", prévient Dirk Gyselinck, membre du comité de direction de la banque.
Selon l'accord du nouveau gouvernement, le financement du secteur doit devenir plus simple et plus transparent. Sa refonte sera essentielle pour obtenir un cadre budgétaire pluriannuel stable, et permettre aux hôpitaux d'investir suffisamment dans les soins de demain.
Résultat financier 2019
L'an dernier, les hôpitaux généraux ont enregistré une légère amélioration de leurs résultats financiers. Sur un chiffre d'affaires total de 16,1 milliards d’euros, ils ont réalisé un résultat courant de 76,7 millions d’euros, soit 0,48 % de leur chiffre d'affaires. En 2018, le résultat courant s'élevait à 30,4 millions. Le bénéfice de 2019 reste cependant très maigre. Les années précédentes déjà, le rapport MAHA a signalé qu’une perturbation mineure pourrait avoir des conséquences catastrophiques dans le secteur. Cette situation met également la capacité d’investissement sous pression.
Sur les 87 hôpitaux généraux étudiés, 30 sont déficitaires, soit un tiers. C’est une réalité que l'on constate depuis des années. Sur ces 87 hôpitaux, 17 seulement ont un résultat courant de plus de 2 % du chiffre d'affaires, niveau qui est considéré comme un critère de santé financière.
Globalement, l’endettement augmente à 7,52 milliards en 2019, une hausse de 3 % (+219 millions d’euros). Dans ce contexte, il est absolument nécessaire que les hôpitaux génèrent suffisamment de cash flow pour pouvoir rembourser ces dettes.
En 2019, 16 hôpitaux n'ont pas assez de cash flow pour rembourser la dette qui arrive à échéance au cours de l’exercice. L’un d’entre eux a même un cash flow négatif. Ceci reste donc assez stable: en 2018, 18 hôpitaux avaient trop peu de cash flow, dont 2 un cash flow négatif.
De manière générale, les bilans financiers des hôpitaux peuvent être qualifiés de sains, avec des fonds propres, hors subsides d'investissement, de 23,6 %, ce qui est un peu mieux qu’en 2018 (23,1 %), et toujours supérieur à la valeur cible, de 20 %.
Le chiffre d'affaires a augmenté presque autant qu’en 2018, soit 5 %, à 16,13 milliards. L’analyse des sources de ce chiffre d'affaires montre une contribution importante des produits pharmaceutiques. L'an dernier, le chiffre d’affaires pharmaceutique a augmenté de 11,4 % à 3,08 milliards. Ces revenus se sont accrus de manière significative ces dernières années: ils représentaient 15 % du chiffre d'affaires total des hôpitaux en 2015, pour passer à 19,1 % en 2019.
La marge bénéficiaire de la pharmacie contribue également de plus en plus au résultat des hôpitaux. Il en va de même pour les services médico-techniques, comme la radiologie. Les consultations et les activités non hospitalières, en revanche, restent déficitaires.
Les honoraires des médecins constituent également un moteur important du chiffre d'affaires des hôpitaux. Ils s’élèvent à 6,57 milliards d’euros en 2019, une augmentation de 4,4 %. Les hôpitaux en versent 4,03 milliards aux médecins.
Quel est l’impact de la crise Covid-19 en 2020 ?
Pour les hôpitaux belges, si la pandémie impose un combat difficile sur le plan humain et mental, elle est aussi un coup dur sur le plan financier.
Les plans d'urgence activés dans les hôpitaux ont un impact considérable sur leur activité habituelle et entraînent la disparition de nombreux revenus. Le nombre de consultations a chuté à 43 % de l’activité habituelle pendant le premier plan d’urgence hospitalier (du 16 mars au 5 mai). Durant cette période, le nombre d'admissions est tombé à 59 %. Le nombre de jours d'hospitalisation diminue moins fort, car les patients Covid-19 restent hospitalisés plus longtemps.
La deuxième vague de contaminations – pour laquelle un nouveau plan d'urgence hospitalier a démarré le 5 octobre – est beaucoup plus lourde pour les hôpitaux que la première vague du printemps. Le nombre d'hospitalisations est plus élevé, ainsi que le nombre de patients en soins intensifs. De plus, alors que la pandémie du printemps présentait de grandes disparités régionales, préservant relativement certains hôpitaux, la deuxième vague se caractérise par son intensité sur tout le territoire. Aucun hôpital n’y échappe.
Afin de chiffrer l’impact financier, Belfius a sélectionné un échantillon de 25 hôpitaux généraux et 6 hôpitaux universitaires. La banque a comparé leurs résultats du premier semestre 2020 avec ceux de 2019. Elle a également intégré une enquête de la fédération sectorielle Zorgnet Icuro auprès de 33 hôpitaux concernant leurs activités au premier semestre.
Les hôpitaux ont fait face à des surcoûts substantiels. Ils ont acheté du matériel de protection, fait appel à du personnel intérimaire, adapté leur infrastructure pour séparer les patients Covid-19 des autres, etc. Par ailleurs, certaines charges ont diminué: achats pharmaceutiques moindres, activité réduite des services de facturation, diminution des achats de denrées alimentaires, etc. Du côté des recettes, les médecins ont facturé moins d’honoraires d’opérations, de consultations, etc. La pharmacie a également enregistré moins de revenus et les parkings payants des hôpitaux étaient en grande partie vides.
Ces différents surcoûts et la baisse des recettes liée à la diminution de l’activité habituelle ont entraîné une contraction du chiffre d'affaires de 8,1 % en moyenne au premier semestre 2020. Selon l’hypothèse d’une deuxième vague de Covid-19 à l’impact similaire à celui de la première vague (Base Stress scenario), on peut extrapoler ce recul du chiffre d'affaires sur toute l’année. Mais comme la deuxième vague est nettement plus lourde et généralisée, son impact financier sera probablement plus lourd. Afin d’estimer ce « High Stress » scenario, la banque a réparti les hôpitaux dans une subdivision statistique en 4 quartiles et a pris pris le quartile 25. Le quartile 25 représente la médiane de la première moitié des chiffres observés. Pour ce scénario, on constate que le chiffre d'affaires chute de 10,4 %.
Cette tendance s’explique principalement par la forte diminution des honoraires et du chiffre d'affaires pharmaceutique. Dans le « Base Stress » scenario, le chiffre d'affaires en pharmacie recule de 7,2 %, et celui des honoraires de 16,7 %. Or, ces deux sources de revenus constituent précisément un moteur important du chiffre d'affaires des hôpitaux.
L’augmentation des frais de personnel au premier semestre reste en moyenne relativement limitée. Une partie du personnel était en maladie de longue durée ou a pris un congé parental. Pendant la première phase du plan d'urgence hospitalier, certains hôpitaux ont aussi fait appel au chômage temporaire, de façon limitée. On assiste à une hausse des charges salariales de 0,6 % en moyenne. Mais les hôpitaux les plus touchés ont vu leurs frais de personnel augmenter de 2,7 % ou plus au premier semestre. Dans le « High Stress » scenario que traversent les hôpitaux actuellement, ce chiffre sera sans doute plus indicatif de la réalité.
L’effet sur le résultat courant dans le « Base Stress » scenario est inquiétant. Les hôpitaux interrogés (généraux et universitaires) terminent avec un résultat courant négatif de 5,6 % par rapport au chiffre d'affaires. Si on y ajoute la deuxième vague de contaminations, plus grave, ce résultat courant négatif plonge même à 11,2 % par rapport au chiffre d'affaires. Les hôpitaux généraux et universitaires réalisent ensemble un chiffre d'affaires d’environ 20 milliards d’euros. Cela représente potentiellement une perte courante de plus de 2 milliards d’euros pour l’ensemble du secteur.
Il va de soi que ces chiffres doivent être pris avec une grande prudence, mais ils fournissent en tout cas une indication de la perte particulièrement importante que doivent supporter les hôpitaux. Il faut remarquer que les compensations de l’État fédéral et des entités fédérées ne sont pas reprises dans ce calcul.
Les soins de santé à l’avenir
L'impact de la crise Covid-19 est particulièrement lourd dans un contexte où les hôpitaux belges doivent procéder à d'importants investissements. Le secteur doit investir dans des solutions digitales et l’informatisation pour gérer les données des patients, de façon sécurisée. Le vieillissement croissant de la population va engendrer de nouveaux besoins. Le nombre de polypathologies et de malades chroniques augmente. Les hôpitaux devront aussi intégrer diverses innovations médicales. Et ils sont aussi censés devenir neutres en CO2.
La constitution de réseaux inter-hospitaliers devra déjà permettre d'améliorer la collaboration et de créer une offre commune. Ces réseaux constituent sans doute une pièce du puzzle de la solution future.
Aperçu: mesures de soutien des pouvoirs publics
2 milliards de soutien de la trésorerie: Lors de la première vague de Covid-19, il est vite apparu que les hôpitaux allaient rencontrer des difficultés financières en raison du recul de leurs activités habituelles et revenus associés, et en raison des surcoûts occasionnés par la pandémie. Le pouvoir fédéral a agi pendant la première vague en accordant une avance de trésorerie de 2 milliards d’euros. Un milliard a été versé au premier semestre, puis deux fois 500 millions en juillet et octobre.
Forfaits pour les surcoûts exceptionnels: Le pouvoir fédéral s’engage à indemniser les surcoûts exceptionnels liés à la Covid-19, comme les moyens de protection individuelle (masques etc.), les appareils respiratoires, les services de garde supplémentaires, les tests Covid, les assurances supplémentaires, etc. Le SPF Santé publique a réalisé deux enquêtes pour pouvoir estimer ces frais et établir différents forfaits pour ces dépenses supplémentaires.
Compensation pour les pertes d'activités: Une compensation est prévue pour les pertes d'activités, telles que les opérations qui n’ont pu se faire ou les produits pharmaceutiques non délivrés. De plus, les hôpitaux reçoivent également des rétrocessions des honoraires non perçus par les médecins, parce qu’ils intervenaient pour la Covid-19. Cette compensation est actuellement partielle : elle ne couvre actuellement que la partie qui est normalement couverte par l’état.
Les surcoûts pour assurer une capacité supplémentaire aux urgences et dans les soins intensifs, tant pour les patients Covid-19 que pour les autres patients, seront également couverts.
Budget ouvert: S'il s'avère lors du décompte que certains hôpitaux ont reçu une avance insuffisante, un complément leur sera versé. Ceux qui ont reçu une avance trop élevée devront la rembourser. Mais le gouvernement fédéral assure qu’il s'agit ici d'un budget ouvert.
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