Les Belges peuvent se poser aujourd’hui la question de savoir pourquoi et comment les infrastructures hospitalières de leur pays ont pu s’adapter aussi rapidement à une pandémie particulièrement virulente et destructrice pour les individus âgés ou atteints malheureusement de comorbidités sérieuses.
C’est, certes, notamment dans l’histoire et les particularités du système de santé belge mais aussi dans la valeur des professionnels de santé hospitaliers qu’il faut chercher les raisons de cette résistance remarquable. Il faut aussi proposer les actions indispensables pour maintenir et développer cette caractéristique qui fait que notre système de santé et les hôpitaux en particulier résistent mieux que la plupart de nos pays voisins. Il faut sans doute nuancer le nombre de décès d’origine pandémique quand nous savons que ceux pris en compte dans les maisons de repos n’ont pas nécessairement fait l’objet d’un diagnostic biologique de Covid19. Les statistiques internationales de décès ne sont malheureusement pas comparables.
L’hôpital, né de la solidarité caritative des temps très lointains, s’est développé, d’abord, comme un refuge hospitalier (hôtel-Dieu) à travers l’antiquité et le Moyen-Âge
Ce n’est qu’après la révolution française que, devenu public, il s’est professionnalisé par l’apport des découvertes des sciences médicales et des acteurs médicaux (anesthésie, antisepsie, bactériologie, chirurgie, etc.).
Il est également devenu l’outil de travail de la médecine spécialisée et de la chirurgie. Son développement au cours du XXe siècle lié à l’avènement de la sécurité sociale et par conséquent de la prise en charge des soins hospitaliers par le secteur public et surtout les cotisations des travailleurs et des employeurs est illustré par la construction dans notre pays de nombreux établissements rivalisant de modernité et d’équipements médico-techniques efficaces.
Dans l’enthousiasme et la richesse des années ’60 mais surtout en fonction des remous contestataires de 1968 mais aussi linguistiques et philosophiques, les universités vont se séparer des hôpitaux des villes qui les avaient accueillies depuis la naissance de la Belgique et vont créer progressivement à la suite de l’Université de Gand leurs propres institutions hospitalières académiques (au nombre de 7) soit privées en ce qui concerne les universités libres, soit publiques en ce qui concerne les universités d’État.
Cette croissance va conduire non seulement à une amélioration importante de la durée mais surtout de la qualité de la vie mais aussi à une hausse des dépenses publiques et privées qui va progressivement se révéler trop importante en période de réduction de la croissance économique liée au choc pétrolier des années ’70.
Des mesures importantes vont être prises d’abord pour la maîtrise et ensuite la réduction du nombre de lits mais aussi pour la diminution quantitative du nombre d’hôpitaux.
La taille des hôpitaux va grandir mais leur nombre va se réduire par fusion, groupement et fermeture.
La réforme du financement des séjours hospitaliers mise en œuvre à la fin des années 1980 aux États-Unis et en Europe occidentale va mettre progressivement l’accent sur la performance hospitalière en fonction du diagnostic et de la thérapeutique plutôt que sur le taux d’occupation et le nombre de journées réalisées annuellement.
L’hôpital devient une entreprise
La Belgique sera pionnière dans ce domaine. L’hôpital devient une entreprise qui se doit d’être en équilibre financier tout en investissant en professionnels spécialisés et en équipements sophistiqués.
Elle a vu une stabilisation des admissions mais surtout une réduction drastique des durées moyennes de séjour et une augmentation progressive de l’hospitalisation de jour tant en médecine qu’en chirurgie.
Les consultations hospitalières et les examens médico-techniques de plus en plus sophistiqués et précis et récemment de moins en moins invasifs se sont multipliés réduisant fortement les incertitudes diagnostiques et thérapeutiques.
L’hôpital devient de plus en plus un lieu d’accueil permanent des urgences et des patients qui veulent une réponse immédiate à leur angoisse devant la maladie potentielle. Il développe également ses soins intensifs qui accueillent des patients de plus en plus âgés dont les pathologies apparaissent de plus en plus tardivement et par conséquent sur un terrain plus fragile. La Belgique dans ce domaine est un exemple. C’est chez nous que s’organise chaque année grâce à l’initiative de mon Collègue Jean-Louis Vincent le congrès mondial de Soins Intensifs. Ces derniers jours viennent de démonter la valeur de nos équipes.
Les rôles de l’hôpital public et de la clinique privée se sont rapprochés par un financement identique malgré une prise en charge des déficits différente au point d’assister à la fusion ou au groupement d’hôpitaux des deux origines ou d’horizons philosophiques différents.
La gouvernance a également évolué passant du directeur hospitalier non diplômé mais possédant la bonne carte politique aux directeurs universitaires seuls ou en collèges accompagnés de médecins- chefs de mieux en mieux formés à la gestion.
Les institutions universitaires ont été également à la base de relations nouvelles entre médecins et gestionnaires hospitaliers par le biais d’un partage réel des responsabilités et surtout la mise en commun des prix de journée (ancien BMF) et des honoraires médicaux, la mise en place des directions médicales et des conseils médicaux à voix délibérative ayant l’autorité nécessaire pour faire appliquer une politique de services et de réduction des individualismes forcenés connus sous le nom de mandarinats.
Ces modifications vont entraîner la modification de la loi sur les hôpitaux imposée courageusement par le Ministre Dehaene en 1986 qui définit le statut du médecin hospitalier et la présence dans chaque hôpital du Médecin-chef et du Conseil Médical avec un pouvoir d’avis obligatoire sur certaines matières.
Ce début de cogestion montre, aujourd’hui, sa valeur dans les décisions rapides, flexibles et très bien adaptées qui ont permis aux hôpitaux de faire face très rapidement à la crise et à la nécessité d’accroître le nombre de lits de soins intensifs. La main dans la main les médecins-chefs et les directeurs d’hôpitaux ont montré, chacun dans leur domaine, combien cette collaboration instaurée par la loi était nécessaire et faisait défaut dans les pays où les médecins ne participent pas à la gestion des hôpitaux.
Le temps des associations, des groupements, des réseaux et des synergies est aussi d’actualité en matière de transfert de personnel mais surtout de patients pour faire face aux différences d’activités locales. Pourquoi continuer à jouer cavalier seul alors que des économies d’échelle sont indispensables tant au niveau de la qualité des soins que des finances ?
Le financement a remarquablement évolué venant d’un financement hôtelier et en fonction des actes prestés vers un financement plus forfaitaire basé sur les pathologies et la rapidité de traitement tout en maintenant des honoraires médicaux à l’acte partagés après de nombreuses discussions entre médecins et gestionnaires.
Mais tout n’est pas aussi rose
Malheureusement, la différence significative entre tarification INAMI et SPF Santé (honoraires et Budget des moyens financiers) et coût réel hospitalier est de plus en plus flagrante et explique largement pourquoi les hôpitaux sont souvent en déficit surtout quand l’Institution hospitalière prend en charge des cas lourds et des patients présentant des pathologies multiples.
A cela, s’ajoutent les dernières mesures gouvernementales en matière de réduction des honoraires particulièrement dans les soins intensifs et de restriction des suppléments d’honoraires sans compensation alors que ceux-ci faisaient partie des accords de la St Jean en 1964.
Seule une tarification forfaitaire tenant compte non seulement du prix de revient global d’une pathologie pourra faire face à une juste rémunération du séjour hospitalier.
Cela permettra de valoriser progressivement les hôpitaux qui parviendront à offrir une médecine de qualité en utilisant intelligemment les forfaits globaux pour mieux répartir qualitativement les actions à accomplir pour diagnostiquer et traiter les pathologies de la manière la plus adéquate possible.
L’hôpital doit se restructurer en réseaux de soins
En effet, de nombreuses organisations ont compris la nécessité de vivre ensemble pour affronter le développement des nouvelles technologies médicales et logistiques mais aussi pour rassembler des know-how nécessaires pour traiter des pathologies complexes et rares devant faire appel à des spécialistes médicaux de plus en plus affûtés.
La nécessité d’accroître les économies d’échelle dans tous les domaines pour augmenter l’efficience et réduire les coûts, a poussé de nombreux hôpitaux à fusionner, se regrouper, fermer ou établir des réseaux régionaux philosophiquement proches ou pas et appartenant aux secteurs privé ou public dont la différence apparaît de moins en moins.
Un hôpital ne doit-il pas travailler, aussi, la main dans la main avec les maisons de repos, les médecins généralistes et les soins à domicile de sa région en mettant à leur disposition ses infrastructures, son personnel spécialisé et ses équipements statiques et mobiles ?
Ces considérations impliquent un complément de législation contenant la création de réseaux complets contenant des activités spécialisées aiguës et chroniques dans des structures flexibles et adaptées aux circonstances pathologiques partagées entre plusieurs institutions hospitalières et non hospitalières.
Les hôpitaux ont pu démontrer leur efficacité et leur flexibilité particulièrement aux soins intensifs et dans les unités d’infectiologie. Cette crise a mis en évidence la nécessité des réseaux et surtout a remis en question le nombre et le type de lits nécessaires pour faire face aux crises soudaines. De célèbres mutuellistes habitués des médias n’avaient -ils pas proposé de fermer 10.000 lits ?
Le manque de cohésion des pouvoirs politiques disséminés (9 ministres)a été mis en évidence par un manque de gestion cohérente particulièrement dans les maisons de repos séparées de la gestion des hôpitaux. L’hôpital est en définitive le dernier recours quand la situation sanitaire est grave et nécessite une réaction rapide et une multidisciplinarité que les soins basés sur les derniers développements que la science médicale exige.
Les moyens informatiques doivent aussi être développés pour aider le personnel soignant afin de le libérer pour des tâches proches des patients.
Il faut aussi revoir la gestion des Institutions de soins en définissant mieux les structures des Institutions tant privées que publiques en faisant appel à des administrateurs indépendants compétents et à des médecins hospitaliers formés à la gestion hospitalière.
L’apport des scientifiques et des professionnels par rapport aux habitués du pouvoir en santé (mutuelles, syndicats de médecins, cabinets ministériels…) ont pu convaincre les politiques de prendre les décisions les plus adéquates et les moins mauvaises. C’est une leçon qu’il faudra également retenir pour l’avenir des commissions qui conseillent les politiques et qui aujourd’hui sont prises en main par les pouvoirs infiltrants.
Publiée également en Carte Blanche dans Le Soir
Derniers commentaires
Christian BROHET
29 avril 2020Excellente revue historique de notre système hospitalier, réflexion très utile et belle mise en perspective!
Merci au Pr Alain De Wever!
Pr Christian Brohet