IA et santé numérique: l’urgence de l’ambition (Prof Giovanni Briganti)

Dans une lettre ouverte aux Présidents du MR et des Engagés, le Prof. Giovanni Briganti, Chef de service et titulaire de la Chaire IA et Médecine Digitale de l'UMons, appelle à une ambition accrue en matière de santé numérique et d'intelligence artificielle pour préserver et renforcer le leadership de la Wallonie dans ces domaines cruciaux.

Messieurs Georges-Louis Bouchez et Maxime Prévôt,

Ce matin, le réveil a sonné beaucoup plus tôt pour que je puisse analyser en profondeur votre déclaration de politique régionale et communautaire.

Voici le message essentiel de ce texte, avant que vous ne lisiez (ou non) l'intégralité de mon analyse : il est urgent d'adopter une ambition beaucoup plus grande en matière de santé numérique et d'intelligence artificielle (IA) en santé.

Les points positifs concernant l'IA et la santé :

  • Vous déclarez que la transformation numérique est essentielle pour le développement de la Wallonie et ses secteurs. Le Gouvernement mise sur la stratégie Digital Wallonia pour cette transition, tout en respectant les régulations européennes et en évitant la concurrence déloyale. Le numérique vise également la neutralité carbone et soutient la transition écologique via une approche intégrée Green IT.
  • Vous affirmez que le numérique est central dans toutes les politiques gouvernementales, avec un accent sur la digitalisation de l’administration, simplifiant ainsi les processus pour les usagers. La collecte et l’analyse des données guideront les politiques publiques.
  • Pour l'inclusion, vous prévoyez des mesures pour réduire la fracture numérique, garantir l'accès pour tous, et maintenir le droit à l'accueil en personne. Les compétences numériques seront développées à tous les niveaux, incluant l'éducation et la formation continue, avec un soutien particulier pour les filières STEAM.
  • Vous soutiendrez la digitalisation des entreprises, surtout les PME et TPE, et accélérerez le déploiement de la 5G pour améliorer la connectivité. La cybersécurité est une priorité, avec des formations et des mesures de protection pour les infrastructures critiques.
  • L’intelligence artificielle (IA) sera développée pour son potentiel socio-économique, avec des projets pilotes et des formations pour faciliter son adoption. Le secteur du numérique, y compris les industries culturelles et créatives, sera soutenu pour renforcer l'innovation et la croissance économique, avec un focus sur l'industrie du jeu vidéo.
  • Vous rendrez la première ligne de soins et la santé mentale des priorités, avec une meilleure coordination des parcours de soins.
  • Vous refinancerez Wallonie Santé pour jouer un rôle majeur dans le développement du secteur des soins, en adoptant une approche « Health in all policies » afin d’améliorer la santé des Wallons. Le budget de la prévention sera doublé, avec un focus sur le dépistage précoce, la lutte contre les dépendances, et la prévention des maladies liées à l’alcool, au tabac et à l’obésité.
  • Vous encouragerez une juste rémunération des professionnels de santé et renforcerez les moyens pour les soins de santé mentale. Vous soutiendrez également les infrastructures hospitalières, la cybersécurité des hôpitaux, et l’extension des centres de convalescence et de rééducation.

Les points moins positifs : Seulement six lignes de votre déclaration touchent aux données de santé, sans mention de santé numérique, télémédecine, ou autre. Messieurs les présidents, je suis persuadé que nous pouvons faire mieux que cela. Je vous rappelle que :

  • La Belgique francophone est pionnière dans les domaines de la santé numérique et de l’intelligence artificielle.
  • Les projets d’envergure, mêlant milieux académique, médical, industriel et citoyen, sont nombreux chez nous et sont à la pointe de leur domaine.
  • Nous avons une quintuple hélice particulièrement experte et preneuse en la matière : il suffit de mentionner que 1) à tous les niveaux de pouvoir, l’IA et la santé digitale ont été des priorités lors de la précédente législature, avec des avancées considérables pour la Belgique au cours des six dernières années ; 2) le tissu académique est particulièrement fort, nous sommes les premiers au monde à imposer un enseignement obligatoire de ces matières aux professionnels de la santé, et à offrir une formation complète à tous les niveaux d’éducation supérieure ; 3) en Belgique francophone, on estime avoir plus de 700 chercheurs dans le domaine de l’IA (TRAIL, FARI, etc.), et qu’au moins un tiers d’entre eux travaillent dans le domaine de la santé (pour une si petite zone géographique !) ; 4) les citoyens méritent de recevoir un retour sur investissement par rapport à leurs données de santé.

À titre d’exemple, voici quatre chantiers urgents à entreprendre pour améliorer notre système de soins de santé grâce à la santé numérique et maintenir notre leadership francophone :

  1. Le financement, pour les structures de soins dépendantes des niveaux de pouvoir régional et communautaire, de l’innovation en santé digitale : la plupart des hôpitaux étant en difficulté financière, l’innovation digitale est ralentie. Nous savons qu’un euro investi en santé digitale en rapporte trois. Il serait judicieux de soit choisir un premier groupe d’hôpitaux candidats et les financer de manière fixe chaque année en leur laissant choisir eux-mêmes les axes d’innovation qu’ils veulent adopter, soit choisir à l’échelle francophone des solutions prometteuses à adopter pour tous les hôpitaux (bien que cette deuxième option soit plus difficile). Sans cette mesure, nous risquons de perdre notre leadership en la matière, ce qui impactera la qualité des soins de santé.
  2. L’instauration d’un Observatoire de la Santé Numérique Wallon : nos parents, enfants et amis sont ou seront en contact avec des solutions digitales dont il faut tester la sécurité, l’efficacité et la pertinence clinique de manière centralisée, afin que chaque hôpital soit rassuré sur l’utilisation des technologies au profit des patients. Cet observatoire testerait par des études les solutions numériques avant qu’elles n’aident le médecin, si elles n’ont pas été testées auparavant.
  3. Le soutien aux entreprises qui développent de l’IA en vue de l’application de la compliance au futur AI Act : cette législation risque de mettre en difficulté les entreprises en IA en santé, car le poids économique de cette compliance s’annonce déjà lourd.
  4. Pour la formation, financer dans chaque université des postes visant à l’enseignement et à la recherche en matière de santé digitale.

N’ayant pas été convié à vos réunions de consultation, je n’ai pas pu vous transmettre ces messages en personne. J’espère que vous tiendrez compte de ces remarques, et je me tiens à votre disposition pour en discuter davantage.

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