Ce jeudi, les pharmaciens français descendent massivement les volets de leurs officines, déclenchant une grève nationale suivie par plus de 90% des pharmaciens. Des manifestations sont prévues partout en France. Les revendications principales portent sur l’augmentation des honoraires, la pénurie de médicaments et la libéralisation de la vente en ligne des médicaments.
Denis Millet, coprésident Loire-Atlantique de la Fédération des pharmaciens d'officine (FSPF), exprime une frustration largement partagée : « On n’écoute pas beaucoup les pharmaciens. » C'est dans cet esprit que 90 à 95 % des pharmaciens français se mobilisent aujourd’hui. Dans un communiqué la Fédération précise "Forts du soutien de la population, notre objectif est de faire la démonstration auprès de Bercy de la nécessité d’un investissement fort à l’égard des entreprises officinales. Nous déciderons le 7 juin des formes que prendra la mobilisation pendant les mois à venir."
Les pharmaciens demandent une revalorisation significative de leurs honoraires, en stagnation depuis 2017. Matthieu Joubert, président régional de Touraine de l’Union de Syndicats de Pharmaciens d’Officine (USPO), souligne l’impact de l’inflation : « Nous n’avons pas eu de revalorisation depuis 2017, lorsque vous voyez toute l’inflation depuis, c’est monumental. » Les négociations avec la Caisse nationale de l’Assurance maladie (CNAM) n’ont pas abouti, laissant les pharmaciens se sentir « insultés » par les propositions insuffisantes. Dans un communiqué le syndicat souligne que "cette action s’inscrit dans un contexte difficile, avec notamment le retour des menaces de dérégulation et la vente en ligne de médicaments par des plateformes commerciales avec des stocks déportés, auxquelles s’ajoutent la persistance des pénuries que les pharmaciens subissent au quotidien, au détriment de leurs patients, qui sont les premiers pénalisés."
Une pénurie de médicaments persistante
La pénurie de médicaments, un problème qui date du Covid-19, n’a fait qu’empirer. « On s’aperçoit que chaque année c’est de pire en pire », constate Matthieu Joubert. Les pharmaciens doivent jongler avec les ruptures de stock, une tâche qui consomme énormément de temps et d’énergie. Cela peut prendre jusqu'à 4 heures par jour ! Denis Millet explique : « Les problèmes de rupture de médicament prennent une énergie folle, car il faut essayer de commander, de trouver, de rassurer les patients, de trouver les solutions avec les médecins. » Près de 5000 signalements de ruptures de stock ou de risque de rupture ont été enregistrés par l’Agence nationale du médicament française en 2023, contre environ 2000 deux ans plus tôt.
La libéralisation de la vente en ligne contestée
Un projet de loi d'un député Renaissance , qui propose de libéraliser la vente en ligne des médicaments, inquiète profondément les pharmaciens. « On voudrait limiter la consommation de médicament en France, mais on fait tout pour l’encourager. » La crainte est que des géants comme Amazon s'emparent de ce marché, réduisant le contrôle et le conseil offerts par les pharmaciens.
Finances dans le rouge
Les difficultés économiques touchent durement les officines. Pierre-Olivier Variot, patron de l’USPO, évoque une situation critique : « Toutes les pharmacies souffrent, les petites, les grosses, et pas uniquement dans les zones rurales. » Les charges augmentent constamment, entre la flambée des prix de l’énergie et les frais de personnel, tandis que les honoraires ne suivent pas cette courbe ascendante. En 10 ans, 2 000 officines ont dû baisser définitivement le rideau. 100 sur les trois premiers mois de l’année
Prochaine étape : négociations le 5 juin
Les discussions entre les syndicats et le caisses d'assurances se poursuivront le 5 juin. Philippe Besset, à la tête de la FSPF, affirme : « Il s’agit d’un mouvement d’interpellation, de l’Assurance maladie pour nos honoraires, du gouvernement pour clarifier la dérégulation. » Les pharmaciens restent déterminés à obtenir des réponses concrètes à leurs revendications.
Cette grève revêt un caractère exceptionnel, puisqu’elle ne sera que la deuxième dans l’histoire récente de la profession, après celle de 2014, qui avait massivement mobilisé les professionnels pour protester contre un projet de loi qui menaçait déjà le monopole officinal de dispensation des médicaments. Les agences régionales de santé ont pris des arrêtés de réquisition afin d’assurer un service pharmaceutique minimum pour répondre aux besoins urgents de la population.
Et en Belgique ?
Pour Nicolas Echement , secrétaire générale francophone de l’APB, « la première différence par rapport à nos voisins français, c’est que nous avons un bon dialogue et une bonne concertation avec le ministre fédéral de la santé actuellement sur les dossiers liés à la pharmacie. Nous travaillons dans de bonnes conditions avec Franck Vandenbroucke et son cabinet. »
Ce n’est évidemment pas pour cela que les pharmaciens en Belgique n’ont pas de revendications: « La première d’entre elles est évidemment la lutte contre les pénuries de médicaments et les indisponibilités. Des solutions concrètes doivent être trouvées avec tous les acteurs concernés: l’industrie, le cabinet, l’inami… Il est aussi important de remettre la place du pharmacien au coeur des métiers de soins. Cela se travaille actuellement à moyen terme avec les autorités et les autres acteurs. »
Il n’y a donc pas à ce stade de volonté du côté des pharmaciens belges de rejoindre le mouvement de grève initié en France: « On peut évidemment comprendre les pharmaciens français. S’ils ne sont pas entendus depuis un certain temps, ils doivent envoyer un signal fort pour faire entendre leurs revendications. »
Lire aussi: " il faut donner aux pharmaciens une place claire " (Marleen Haems -VAN)
Derniers commentaires
Francois Planchon
31 mai 2024Ce n'est pas en traitant le seul problème des pharmacies qu'on sera efficace !
Les plateformes commerciales avec des stock déportés devraient absolument être régulées, au minimum au niveau européen, et pas au niveau national...
Ce n'est que la partie visible d'un iceberg qui devrait être traité globalement !
Je m'explique :
La baisse des tarifs postaux privés ou publics des colis font que des envois individuels à partir de pays européens (et asiatiques...) à bas salaires, et à bas tarifs postaux, reviennent moins cher "à la pièce" que des magasins traditionnels, et une filière de distribution classique "fabricants - grossistes - producteurs".
C'est un des piliers principaux des stocks déportés...
Cette baisse des tarifs des transports des colis a créé un prolétariat de transporteurs indépendants sous-payés, souvent incapables d'assumer leurs charges sociales, ce qui est une bombe à retardement : peu ou pas de retraites, soins de santé non financés, dettes fiscales, travail non déclaré ou sous le nom d'un tiers, véhicules non en ordre etc...
Les services postaux traditionnels existants qui respectent les législations sont mis en péril par cette concurrence sauvage.
On va vers la prolifération de plateformes informatisées délocalisées, d'ubérisation de toutes les formes de livraisons à domicile : depuis les pizzas et suchis, en passant par les repas des restaurants et les plateformes comme Amazon, Rue du Commerce etc... qui prélèvent un bénéfice (généralement autour de 30%) et sous-traitent les livraisons avec des "indépendants" inscrits sur leurs plateformes.
TOUS les commerces (et pas uniquement les pharmacies) sont concernés par ces ubérisations et/ou ces plateformes en ligne, avec des problèmes cumulés qui rendent une régulation très complexe à maîtriser : seule une vue globale sera efficace.
Une approche multiple des états est nécessaire, essayons de désigner cette complexité :
- les pertes fiscales sont énormes pour chaque plateforme délocalisée car les bénéfices sont délocalisés dans des pays tiers, avec des niches fiscales favorables, et plus dans le pays des clients !
Prenons l'exemple du restaurant où on va chercher un repas à manger chez soi : il payait ses impôts et lois sociales sur sa marge bénéficiaire...
Si on fait appel à une plateforme de livraison, le client paye le même prix, mais le restaurant doit céder à la plateforme qui gère les commandes +/- 30% du prix des repas (càd la quasi totalité de sa marge bénéficiaire) à la plateforme située par exemple en Irlande... Résultat : le restaurant paye beaucoup moins d'impôts car ses bénéfices sont fort amputés, le livreur n'en paye quasi pas car il est à la limite du revenu imposable, et le gros du bénéfice est exporté en Irlande...
Ajoutons que la masse monétaire de ces bénéfices exportés ne "tourne" plus dans le pays des clients finaux, créant au bout d'un an une perte économique et fiscale qui dépasse le montant initialement exporté...
- la fixation des tarifs postaux est surréaliste et sa réglementation internationale et un "tabou" moyenâgeux où chaque pays est libre de fixer ses tarifs dans des fourchettes opaques au grand public.
Deux exemples : cela revient moins cher, par exemple, d'envoyer une lettre ou un petit colis de Hollande que de France ou de Belgique... alors que le trajet est plus long...
Envoyer un petit colis de Chine vers l'Europe revient +/- 10 à 15 fois moins cher que d'envoyer le même colis dans l'autre sens, car ce pays continue de bénéficier d'un accès aux services postaux internationaux réservés aux pays en voie de développement !
Le maintien de ces disparités opaques est indispensable pour l'existence de plateformes délocalisées.
- Le manque de régulation vis à vis des faux indépendants : le livreur qui obéit aux instructions d'une plateforme devrait être salarié = càd payé à l'heure y compris ses temps d'attente, avec un barème minimum imposé.
- ce système alimente le travail en noir, y compris de personnes en séjour illégal utilisant un prête nom moyennant rétrocession d'un revenu déjà trop bas
- doit-on accepter dans l'Europe des pays avec des salaires jusqu'à 10 fois moins élevés que dans les pays fondateurs ? Les délocalisations y sont (trop) tentantes !
- etc...
La défense des officines doit donc s'inscrire dans un cadre plus large d'une lutte où les intérêts des grands syndicats de travailleurs et des gouvernements convergent.
Faire cavalier seul ne résoudra que des problèmes ponctuels : on oublie au passage la parapharmacie dont s'est déjà emparé les plateformes comme Amazon... et cette parapharmacie est devenue indispensable à la survie des officines !
Pour réflexion...