A quoi ressemblera l’e-santé dans 2 ans? Dans 5 ans? Pour en avoir une idée, on peut se référer aux projets pilotes de santé mobile (applications, dispositifs portables) testés, depuis janvier, par des professionnels de la santé.
Né en 2007 à San Francisco, Health 2.0 est un réseau international centré sur les innovations technologiques qui bouleversent les soins de santé. Sa déclinaison bruxelloise entend mettre en avant les solutions développées en Belgique. L’objectif étant de faciliter leur intégration auprès des professionnels des soins de santé. Une réunion était organisée le 12 janvier dernier pour faire le point sur la question et présenter 5 projets de santé «mobile» .
Comme l’a rappelé Ralf Jahns (Research2Guidance, Berlin), le monde des applications «santé» s’apparente aujourd’hui à une véritable jungle: en 2016, on en comptabilisait plus de 250.000!
L’e-santé est en plein boom et, si les premières apps étaient plutôt centrées sur la forme et le bien-être, peu à peu, elles se spécialisent pour devenir plus médicales, professionnelles, dédiées à des pathologies précises, aux patients et directement au personnel soignant. (Lire aussi Sondage : quelle place pour les objets connectés dans la pratique médicale)
Comment faire le tri? A qui confier cette tâche? Selon quels critères? Comment les financer? Seront-elles remboursées?… L’évolution fulgurante du domaine nécessite un cadre clair permettant d’assurer le respect de la vie privée et la sécurité des données pour le patient et le médecin.
Jamais sans mon app
En Belgique, les autorités ont pris les choses en main dans le cadre du Plan e-santé 2015-2018 qui compte un volet Mobile Health (point d’action 19). C’est pourquoi, en avril dernier, Maggie de Block, ministre des Affaires sociales et de la Santé publique, a lancé un appel à projets pour l’intégration des applications mobiles dans les soins de santé.
Eric Van der Hulst (chef de projet m-health au cabinet De Block et Program Manager imec ) a présenté l’état d’avancement des projets: sur les 98 projets soumis, 24 ont été retenus par le comité d’évaluation constitué de membres de l’Inami, du SPF Santé publique, de l’AFMPS et de la plateforme eHealth. Ils concernent la cardiologie (7), le diabète (3), la santé mentale (3), l’AVC (2), la douleur chronique, l’oncologie (1), la BPCO, les apnées… ( Nous reviendrons en détail sur chaque projet dans de prochains articles)
Parmi eux, six ont un ancrage francophone: télé-assistance de patients insuffisants cardiaques sévères au CHU de Liège et CHR Citadelle; Self user in line (suivi de patients cardiaques et diabétiques) à l’hôpital de Jolimont, hôpital Tubize-Nivelles et CHR Mons-Hainaut; 3S Homecare (affections cardiovasculaires et diabète) par la CSD Namur, Fédération des CSD et CHR Namur; Sleep Cloud (apnées) au CHU Liège et CHR Namur; télé-assistance de patients BPCO au CHU Liège; et In-Ambulance Telestroke (AVC) par Saint-Luc (UCL) et Erasme (ULB) en partenariat avec l’UZ Brussel et l’UZA. Citons encore un projet soutenu entre autres par les Mutualités libres (MLOZ) concernant le diabète (Diabetes on the Run).
Tous ces dispositifs viennent d’entrer en phase de test en conditions réelles pour 6 mois (janvier-juin). L’objectif étant de valider leur intérêt, leur sécurité d’utilisation et de protection des données privées, leur compatibilité avec les autres services d’e-santé, l’obtention du label européen CE et leur caractère "evidence based".
Financement
Un budget de 3,25 millions d’euros a été dégagé pour, entre autres, rémunérer les prestataires de soins de ces projets pilotes.
A l’avenir, il faudra bien sûr définir les conditions de financement des professionnels de santé utilisant ces apps, la réglementation et le cadre juridique.
«Pour les 24 projets, le budget alloué est associé à un traitement. Par exemple, en cardiologie, le projet reçoit 50€/patient/mois pour couvrir le traitement, les médecins, l’infrastructure (personnel, software, app et matériel), parce que notre objectif est d’aller vers un remboursement ‘traitement entier’ (bundle treatment)», précise Eric Van der Hulst.
«A terme, le but est d’avoir un certain nombre d’applications validées par l’Inami pour que les médecins puissent les prescrire et qu’elles soient remboursées. Si, en 2018, des traitements en santé mobile sont possibles, il y aura des fournisseurs belges et étrangers: tous peuvent être validés s’ils respectent les critères (sécurité, vie privée…). A l’AFMPS, les applications mobiles subiront le même chemin de validation que les dispositifs médicaux, peut-être un peu plus souple parce que ces applications font sans cesse l’objet de mises à jour…»
Hôpital virtuel
L’e-santé reprise dans le système des soins de santé concerne soit le self-management (à côté du traitement classique, le médecin prescrit à son patient de télécharger une application, par exemple de conseils en cardiologie), soit des applications connectées aux professionnels de santé qui les supervisent (paramètres biologiques). «La fonction du médecin devra évoluer parce qu’il lui sera impossible d’être connecté 24/24: il y aura donc le médecin, le patient et le centre d’aide clinique pour le suivi en continu», estime-t-il en donnant l’exemple américain du Mercy Virtual, un hôpital virtuel où médecins et infirmières sont derrière des écrans et font du télémonitoring.
L’adoption de ces technologies soulève deux problèmes: «Le plus important est financier: il faut donner la possibilité aux médecins convaincus d’utiliser ces dispositifs et d’être remboursés, mais sans pousser ceux qui sont réticents. L’autre est digital: il faut fournir aux médecins et infirmières des applications intuitives et les former».
«J’espère qu’en 2018, il y aura non seulement un appel à de nouveaux projets et un ‘change management’, des personnes chargées de sensibiliser les médecins à l’utilisation des dispositifs d’e-santé. A l’instar des sessions ‘tupperware’ pour montrer comment ça marche!», conclut Eric Van der Hulst.