Ce 25 juin, Gibbis organise un webinaire qui s’annonce d’ores et déjà passionnant et qui sera également l’occasion de présenter son texte de position sur l’innovation. Dieter Goemaere, directeur hôpitaux généraux de la coupole bruxelloise des établissements de soins relevant du secteur privé, a accepté de lever pour nous un petit coin du voile.
« La technologie doit être une source d’améliorations à trois niveaux : celui de la continuité des soins, celui des PREMs et enfin celui des professionnels de la santé », souligne d’entrée de jeu Dieter Goemaere. « Malheureusement, nous constatons que les hôpitaux n’adoptent que frileusement ces pistes d’innovation. »
« Pourtant, il y a là de formidables possibilités – songez par exemple au télémonitoring, à la télémédecine ou à un dossier patient électronique (DPE) uniforme. Et puis surtout, le patient attend ce recours à la technologie. C’est donc lui qui sera le moteur de cette évolution, qui cadre dans le concept de « soins efficients » que les autorités cherchent à promouvoir. »
« Pour l’heure, si on excepte une initiative plus structurée comme Abrumet, nous sommes généralement encore confinés dans des « bulles d’innovation », alors même que tant d’opportunités se présentent avec l’Europe qui injecte 5,3 milliards dans les soins de santé et l’innovation par le biais d’EU4health – un programme colossal, qui dépasse la somme de tous les EU4health antérieurs ! On planche aussi sur des standards européens et sur une utilisation sûre des mégadonnées, dans la lignée du constat que les patients deviennent de plus en plus mobiles et ne se soucient plus guère des frontières nationales. »
L’innovation doit améliorer l’efficience, mais elle ne suffira pas à la tâche. Qu’en est-il des réseaux bruxellois, qui pourraient eux aussi être un levier vers plus d’efficience ?
« La première demande d’agrément d’un réseau – H.uni, qui regroupe Saint-Luc, les cliniques de l’Europe, Saint-Jean et St-Pierre Ottignies – a été introduite auprès de la CCC. L’UZ Brussel de son côté a choisi de demander son agrément auprès de la Communauté flamande. »
« Restent le Chirec, les hôpitaux Iris et l’hôpital Érasme dont le dossier est en bonne voie, la grande question étant de savoir s’il débouchera finalement sur un ou deux réseaux. Les actuelles tentatives de rapprochement entre Érasme et Bordet sont un autre facteur à prendre en compte. Il s’agit d’un puzzle complexe, dont toutes les pièces doivent trouver leur place. »
Il y a quelque temps, vous aviez brisé une lance en faveur d’une « 1,5e ligne » entre les soins primaires et les hôpitaux. Où en est cette idée ?
« À l’échelon fédéral, quelques projets pilotes ont été lancés dans le domaine de l’hospitalisation à domicile et de la réduction de la durée du séjour à la maternité – un modèle de collaboration qui dépend aussi beaucoup des réalités locales. Le gouvernement bruxellois a repris ce point dans son accord de gouvernement comme piste de réflexion pour la collaboration. Plusieurs projets pilotes en ce sens seront prochainement lancés pour les MRS en région bruxelloise. »
Cela ne risque-t-il pas de déboucher sur des coûts accrus ?
Dieter Goemaere pare la question en soulignant qu’il est question ici de soins « value-based », qui offrent aussi une qualité plus grande. « Récemment, j’ai entendu parler d’un exemple espagnol pour lequel on avait pu démontrer que la chimiothérapie à domicile représentait un gain de temps de quatre heures par semaine pour le patient et de 17 minutes par semaine pour le prestataire hospitalier – c’est assez limité, certes, mais le confort du patient est infiniment meilleur. Par définition, les hôpitaux sont conçus pour une prise en charge efficiente des malades… mais l’efficience n’est pas tout et ces établissements ne peuvent pas devenir un hôtel pour toutes sortes de bobos. En tout état de cause, cette nouvelle approche imposera d’échanger davantage de données médicales. »
Ces nouvelles structures vont obliger les spécialistes à se déplacer davantage. Est-ce que cela ne risque pas d’affecter leur efficience et d’empiéter sur le temps dévolu à leurs missions de base ?
« La Belgique se situe dans le haut du classement international en termes d’accessibilité. Il y a effectivement certains défis, mais tout dépend du type de soins. Time is brain, time is muscle, comme on dit, et ces soins doivent donc être organisés au plus près du patient afin d’en garantir la qualité. Pour d’autres pathologies complexes très spécialisées, il faut surtout un volume d’activité plus important. »
« La grande question qui reste en suspens est alors de savoir ce que l’on fait du reste. L’hôpital bruxellois qui encadre le moins d’accouchements en a encore plus d’un millier par an. Est-ce au patient de se déplacer, ou au médecin ? La discussion est encore en cours. »
D’après vous, les médecins peuvent-ils participer à la prise de décision dans le débat de l’innovation ?
« Nous sommes tous dans le même camp. Il est question de décisions qui touchent à la fois aux soins médicaux et à la gestion. Le tout est que tout le monde rame dans le même sens et que les conditions connexes soient réunies. »
Les PREMs et les intérêts des patients, on en parle depuis quelques années déjà… mais quid des patients néerlandophones à Bruxelles ? Il arrive régulièrement qu’ils ne puissent pas être aidés dans leur propre langue, alors que c’est tout de même un droit dans notre pays. Récemment, il est apparu que les plaintes concernaient surtout l’UCL et Érasme.
Leur nombre était très limité… Trouver du personnel bilingue n’est jamais une sinécure, mais nos hôpitaux continuent à faire de gros efforts en ce sens.
Les spécialistes en formation ont obtenu un accord pour de meilleures conditions de travail. Cela ne risque-t-il pas d’engendrer des difficultés financières pour les hôpitaux bruxellois, dans un contexte où les moyens de fonctionnement sont limités ?
« Ce n’est pas simple. Plus largement, c’est tout le personnel hospitalier qui réclame une revalorisation. Sur ce plan, nous avons toutefois investi dans l’IFIC. (1) »
Quelle est la priorité absolue de Gibbis ?
« Si je devais en choisir une qui touche à l’innovation et à la technologie, je dirais : investir à très court terme dans un DPE interopérable avec des données structurées qui puisse assurer une meilleure intégration des première et deuxième lignes. Et puis le recours à l’IA comme outil d’aide à la prise de décision. »
« Cela dit, les deux aspects sont liés. Nous travaillons à un enregistrement des données qui soit le plus possible automatisé et standardisé – bref, à l’application du principe du « once only » dans le but d’éviter le plus possible une charge administrative inutile. »
(1) L’IFIC se charge de moderniser et d’actualiser les barèmes salariaux.
> Le webinaire de Gibbis sur le thème de l’innovation se tiendra le 25 juin de 12 à 13h30 - inscrivez-vous ici.