Thomas Gevaert, président de l’aile spécialiste du syndicat médical flamand ASGB, revient sur le véritable chemin de croix que représente l’élaboration d’une nouvelle nomenclature. De quoi démotiver tant les médecins que les négociateurs et ouvrir encore plus grand la porte à un financement alternatif, dont ce sont finalement souvent les patients qui font les frais.
La plupart des médecins connaissent bien notre système de nomenclature, mais sans doute beaucoup moins le long processus de négociation et de prise de décision qui sous-tend chaque code.
Chaque proposition de nouvelle nomenclature est introduite auprès d’un groupe de travail du Conseil Technique Médical (CTM). Après négociation et approbation, elle effectue ensuite tout un parcours à travers les divers organes de l’Inami – plénière du CTM, Service d’Évaluation et de Contrôle Médicaux, Commission Nationale Médico-Mutualiste (Medicomut), Comité de l’Assurance et Commission de Contrôle Budgétaire.
Après cette première série d’obstacles, elle devra encore passer par l’Inspecteur des Finances, le Ministre du Budget, le Conseil d’État et le Ministre des Affaires sociales avant d’être publiée au Moniteur belge et de pouvoir entrer en vigueur (en principe le premier jour du second mois qui suit sa date de publication.
Une médecine innovante et évolutive nécessite un processus rapide et performant tant pour l’introduction de nouveaux numéros de nomenclature que pour la suppression de ceux qui sont devenus obsolètes. Pour que de nouvelles techniques, tests et procédures puissent être implémentés dans la pratique quotidienne, il faut un nouveau code. À l’inverse, ceux qui sont datés ou survalorisés doivent pouvoir être supprimés ou corrigés afin de favoriser une utilisation plus efficiente des maigres moyens disponibles. Or c’est justement au niveau des aspects indispensables au bon déroulement de ce processus que sont la vitesse et la performance que le bât blesse profondément.
Prenons l’exemple de la nouvelle nomenclature de l’anatomopathologie (Art. 32) – une spécialité en pleine évolution, principalement sous l’effet des innovations dans le domaine de l’oncologie, et dont la nomenclature demandait depuis longtemps à être révisée et élargie.
Après de longues négociations, une proposition de nouvelle nomenclature a été approuvée les 15/1/2019, 4/2/2019 et 25/2/2019 respectivement par la CTM plénière, la médico-mut et le Comité de l’Assurance. Il importe ici de préciser qu’elle sera intégralement financée par des économies à d’autres niveaux de la nomenclature et plus particulièrement en biologie clinique. En d’autres termes, il s’agit d’une opération sans impact financier.
Et que constate-t-on début 2021 ? La publication au Moniteur est toujours en attente ! Jusqu’ici, deux années se sont donc écoulées entre la finalisation du dossier et l’entrée en vigueur de la nouvelle nomenclature… et le compteur tourne toujours !
Je ne m’attarderai pas inutilement sur les différents facteurs qui ont freiné ce dossier spécifique. Cet exemple est toutefois caractéristique de la lenteur avec laquelle sont traités les changements de la nomenclature : entre leur approbation au sein de l’Inami et leur entrée en vigueur, il peut s’écouler des lustres.
De nombreuses raisons expliquent cet état de fait : la complexité des procédures, les innombrables étapes à franchir, le manque de moyens budgétaires ou encore un défaut de communication entre les différents échelons. Certaines aberrations sont toutefois difficiles à comprendre : si la proposition a été approuvée par la Commission de Contrôle Budgétaire, quel rôle peut encore avoir à jouer le Ministre du Budget ?
Cette procédure peut et doit être améliorée. On reproche volontiers aux médecins et hôpitaux de multiplier les suppléments et les tarifs non conventionnés, en oubliant un peu vite que leur financement et leur nomenclature sont souvent désespérément dépassés.
Les médecins qui veulent implémenter de nouvelles techniques, suivre des directives actualisées ou satisfaire aux nouvelles normes sans pouvoir bénéficier d’un financement Inami ad hoc sont contraints de trouver d’autres manières de couvrir les coûts d’une médecine innovante… ou d’en priver leurs patients. Et c’est ainsi que l’on voit se profiler un mouvement de déconventionnement et de mise en place de mécanismes de financement alternatifs, dont un nombre croissant de suppléments et de prestations hors nomenclature ou pseudo-nomenclature.
C’est notamment pour cette raison que, dans la convention 2021, la médicomut insiste tant pour que le temps de traitement des mesures après approbation soit accéléré.
Les autorités demandent – à raison – aux médecins de faire un usage rationnel des moyens disponibles, et c’est aussi à elles de s’attaquer à la surconsommation ou à l’usage inapproprié de ces moyens.
Un gouvernement qui se targue d’avoir l’un des systèmes de santé les plus performants et les plus accessibles au monde doit toutefois aussi veiller à réaliser cette ambition vis-à-vis de ses propres médecins.
Ce tableau suppose également un système de rémunération performant et rapidement adaptable, et ce dans les deux sens : pour financer les nouvelles évolutions et pour supprimer les prestations et techniques qui n’ont plus lieu d’être. Ce long chemin de croix pour introduire une nouvelle nomenclature est démotivant aussi bien pour les médecin que pour les négociateurs et ouvre encore un peu plus la porte aux modes de financement alternatifs – et, au final, ce sont souvent les patients qui en font les frais.