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Le dernier roman de Jean Jauniaux, Le Jugement des glaces, vient de paraître aux Éditions belges M.E.O. Jean Jauniaux est écrivain, romancier, nouvelliste, journaliste, chroniqueur et critique littéraire. Ce titre énigmatique, Le Jugement des glaces, nous mène du port de plaisance de Bruxelles, le long du canal, aux rivages d’Écosse…
Un professeur, Barthélémy, dégoûté et excédé par l'attitude de ses étudiants, décide de tout plaquer. Il n'en peut plus ; l'école l'insupporte, ou du moins ce qu'elle est devenue. L'auteur ne nous en dira pas plus à ce sujet, ce qui mériterait, par ailleurs, un roman à part entière.
Il erre donc dans la ville de Bruxelles, la nuit, le jour, à la rencontre de ces êtres à la marge, ces cabossés de la vie. Bartleby, ce fameux personnage du scribe d'Herman Melville, apparaît en filigrane, lui qui disait sans cesse « I would prefer not to » (J'aimerais mieux ne pas).
Barthélémy apparaît aussi comme une figure de résistance à la suractivité, à cette folie d'engranger sans cesse et de rebondir, rebondir, rebondir…
Barthélémy se retrouve donc parmi ces déshérités de Bruxelles qu'on appelait autrefois, tout simplement, les pauvres. Mais nous savons que la pauvreté aujourd'hui ne correspond plus à celle que Jack London décrivait dans le Londres du 19e siècle. De nos jours, ces êtres à la marge, malgré les aides sociales ou les filets tendus au-dessus des gouffres, viennent de toutes « estranges », comme le dirait le poète François Villon.
Barthélémy a toujours eu des velléités d'écrivain : il écrit, il range, il fait des projets, il les remet à plus tard, puis il y revient. En fait, il est dans une sorte d'hésitation permanente. Soudain, ces rencontres l'amènent, à travers des photos, des entretiens, des textes, à fixer ce monde au cœur de notre monde. Il en fait un livre, qu'il nomme Le Guide, qui devient vite un succès éditorial international. Barthélémy est, d'une certaine manière, tiré d'affaires. Ses activités d'auteur et d'explorateur des Cités obscures le mettent désormais à l'abri du besoin.
Lors de ses déambulations le long de la côte belge, où il se promène régulièrement, de la frontière française près de La Panne, Saint-Idesbald, jusqu'à Nieuport (il connaît tous les recoins de cette côte qu'il a arpentée dans tous les sens), il décide de s'y installer. Lors des opérations d'achat d'un bâtiment, il rencontre un fonctionnaire de l'urbanisme, Van Drogenbos, un homme à la carrure imposante, qui se bat contre l'exploitation immobilière ayant profondément défiguré le littoral belge. Une amitié se développe entre lui et Barthélémy tout au long du roman.
Un jour, il aperçoit, venant du côté français, une petite troupe d'hommes, de femmes et d’enfants dépareillés marchant le long de la plage. La rencontre se fait en douceur. Ce sont des réfugiés tchétchènes qui ont dû quitter Sangatte après sa fermeture. Ils se dirigent vers Nieuport, où ils espèrent trouver un bateau pour les emmener en Angleterre.
Le roman se déplie dans une suite de découvertes réciproques et de rencontres. On assiste à une sorte de renaissance chez Barthélémy, pleinement conscient du réenchantement de son travail d'enseignant. Il devient l'instituteur de ces Tchétchènes attentifs.
La puissance de l'apprentissage, la volonté de comprendre un monde dans lequel ils espèrent s’installer, ainsi que l'humour que l'auteur laisse transparaître à travers ces séances peu académiques, font de l'idée même de l'enseignement un nouveau sésame vers un monde que l’on espère meilleur.
Mais l'idée de rejoindre l'Angleterre reste vive chez ces réfugiés, et Barthélémy se souvient d'un bateau, Le Liberty, arrimé au Brussels Royal Yacht Club, que Zanzibar, un marin atypique, s'emploie à rénover.
Le projet se met en place. C'est décidé : Barthélémy, Van Drogenbos, Zanzibar et quelques complices vont aider les Tchétchènes à rejoindre l'Écosse, où certains membres de leur famille se sont installés depuis des décennies. Mais ça, c'est une autre histoire !
La véritable histoire réside dans l'enthousiasme de l'auteur, qui fait de ces personnages des figures profondément humaines et attachantes.
Jean Jauniaux, Le Jugement des glaces, M.E.O., 2024, 176 p., 19 € / ePub : 11,99 €, ISBN : 9782807004559