La façon classique et spontanée de concevoir la santé la réduit à l’absence de maladies, à « la vie dans le silence des organes », selon le mot du chirurgien Lerriche. Cette conception quelque peu tragique de la santé oblitère l’harmonie à soi de la vie, la joie de vivre dans une plénitude sensible où l’on se sent bien pour s’assécher dans une négation : ne pas être souffrant.
Associée à l’apparition, en Europe, des systèmes d’assurance-maladie, le leitmotiv sanitaire a conduit les politiques de santé publique à se focaliser sur l’offre et l’organisation des soins, leur accessibilité et leur qualité et, dans une moindre mesure, la prévention des maladies. La santé globale refuse cette aliénation à la pathologie pour privilégier une approche holistique du bien-être qui doit s’incarner dans toutes les politiques publiques.
L’ambition de la santé globale est de promouvoir la santé comme « un état de complet bien-être physique, mental et social» selon la définition de l’OMS, que la conférence de Bangkok de 2005 a complétée, à l’initiative de pays non-occidentaux, du bien-être spirituel pour y inclure les différences d’acception et d’extension de la santé comme du bien-être.
Elle intègre les quatre dimensions de l’homme (biologique, psychologique, sociale et spirituelle) pour bâtir de nouvelles politiques centrées sur les déterminants de la santé, dont la finalité a été définie par la Charte d’Ottawa (1986) : « Pour parvenir à un état de complet bien-être physique, mental et social, l’individu ou le groupe, doit pouvoir identifier et réaliser ses aspirations, satisfaire ses besoins et évoluer avec son milieu ou s’y adapter. La santé (..) un concept positif mettant l’accent sur les ressources sociales et personnelles, et sur les capacités physiques. La promotion de la santé ne relève donc pas seulement du secteur de la santé : elle ne se borne pas seulement à préconiser l’adoption de modes de vie qui favorisent la bonne santé ; son ambition est le bien-être complet de l’individu ».
La santé est ainsi conçue, à rebours de la conception assurantielle, comme une ressource et non comme un coût ou une dépense, et comme un vecteur essentiel de l’émancipation des hommes.
La santé globale et les politiques publiques
La « santé globale » s’inscrit dans un mouvement plus large d’approche holistique des problèmes publics mondialisés (Ecohealth, One Health, etc), pour en réguler les aspects systémiques transnationaux. L’adjectif « global » n’a donc pas qu’une connotation géographique, il renvoie également aux conditions pluridimensionnelles de la santé à prendre en considération dans le cadre d’une gestion participative locale du bien-être.
Pensée à partir des déterminants de la santé (biologie humaine, environnement physique et social, habitudes de vie, éducation, système de soins, etc.), la santé globale entend soustraire la promotion de la santé au seul paradigme médical, voire « décoloniser » son sens pour l’ouvrir au pluralisme des cultures, des habitus et des milieux, au risque toutefois de générer en pratique une opposition entre médecines traditionnelles et médecine scientifique.
Si sur le plan théorique, la discipline doit éclairer les effets de système dans l’émergence, le maintien ou le développement de problèmes de santé mondiaux, l’objectif poursuivi est essentiellement pratique puisqu’il s’agit de réformer les politiques publiques en les évaluant par le prisme sanitaire.
Health in all Politics (HiaP)
A l’origine de la Charte d’Ottowa et de Bangkok, le Pr Ilona Kickbusch, politologue spécialisée dans la santé mondiale, a défini le nouveau paradigme sous l’intitulé évocateur de « Health in all Politics ». Elle y défend l’idée qu’il est plus sensé d’intervenir systématiquement sur les déterminants de la santé en réfléchissant davantage aux effets sanitaires des diverses politiques économiques, sociales et environnementales, que de laisser à la seule santé publique la gestion des conséquences pathologiques d’environnements éco-socio-économiques délétères.
A titre d’exemple, la lutte contre l’épidémie mondiale de diabète suppose, dans une approche globale, d’effectuer un travail sur ses déterminants mondiaux et/ou locaux tels que la sédentarité, l’alimentation grasse et sucrée, la précarité économique et sociale des individus, les environnements pollués, l’utilisation de pesticides ou encore l’éducation et l’éducation à la santé, etc.
Santé globale et démocratie (sanitaire) participative
L’HiaP comme paradigme transversal de gouvernance, qui impose d’anticiper les impacts sanitaires des politiques publiques, a été adopté par l’UE dès 2006. Mais paradoxalement, c’est surtout au niveau local que l’HiaP a trouvé son efficace – en particulier aux US - où elle se traduit par l’implication des acteurs (publics comme privés, gouvernementaux et non gouvernementaux, professionnels et citoyens), dans l’élaboration concrète de politiques saines et durables en réponse aux besoins immédiats de la population locale, par exemple en matière de mobilité, d’accès à l’eau et à une alimentation de qualité, d’environnement sain, d’accès au travail et à l’éducation, etc.
Dans cette configuration, l’HiAP apparaît comme un nouveau projet humaniste, qui anticipe et soutient l’exigence d’inclusion et de participation démocratique des acteurs et citoyens - dûment informés par les scientifiques et le corps médical-, pour esquisser et bâtir un environnement de vie qui concourt au bien-être intégral des individus.
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Marie-Louise ALLEN
30 aout 2022Bravo, Valérie K. ! je retrouve enfin des notions humaines au sujet de la santé dans sa globalité! denrée oubliée de plus en plus ces dernières années...