Les prises en charge dites « médico-psychosociales » des enfants faisant suite à une mesure de placement, nécessitent d’être préparées afin de leur octroyer un cadre de vie sécurisant, adapté et « bientraitant ». Or, un constat de terrain est qu’en raison de l’insuffisance d’institutions d’hébergement , les enfants « placés » séjournent en pédiatrie. Nous, professionnels de la santé infanto-juvénile, dénonçons les conditions d’accueil et d’encadrement que subissent les enfants au sein des services de pédiatrie wallons.
La santé physique et psychique de l’enfant est reconnue comme étant une priorité internationale par l’OMS (Humanium, 2023). La Convention Internationale des Droits de l’Enfant (UNICEF, 1989) énonce une série d’obligations que les états s’engagent à respecter afin de rendre effectifs les droits de l’enfant dont le droit à une vigilance spéciale pour les enfants placés. Les états reconnaissent le droit de l’enfant de bénéficier du meilleur état de santé possible et d’accéder aux services médicaux et de rééducation, tout comme celui d’avoir un niveau de vie suffisant pour permettre son développement physique, mental, spirituel, moral et social. Les états doivent adopter les mesures appropriées pour aider les parents à mettre en œuvre ces droits et offrent, en cas de besoin, une assistance matérielle et des programmes d’appui (article 28).
Il s’avère que certains droits des enfants ne sont pas respectés en raison, entre autres, de l’insuffisance de moyens financiers octroyés pour leur bien-être psychique et physique.
En effet, les prises en charge dites « médico-psychosociales » des enfants faisant suite à une mesure de placement, nécessitent d’être préparées afin de leur octroyer un cadre de vie sécurisant, adapté et « bientraitant ». Or, un constat de terrain est qu’en raison de l’insuffisance d’institutions d’hébergement pouvant accueillir ce public, les enfants « placés » séjournent en pédiatrie.
Quel message communique-t-on aux enfants placés ?
Lorsque des acteurs de terrain évaluent qu’une famille éprouve des difficultés psycho-médicosociales, le jeune est conduit, bien souvent dans l’urgence, seul ou accompagné par la police ou par une ambulance au sein d’un service de pédiatrie, faute de place dans d’autres structures. Ces services hospitaliers ne sont pas adaptés à ce type de prise en charge !
Bien que l’hospitalisation permette un bilan médical, la plupart du temps, ces enfants ne sont pas malades. Mélangés avec les jeunes patients malades, ils se retrouvent immergés dans un bain de virus et sont exposés à un haut risque de contamination. Aussi, ils partagent leur chambre avec d’autres enfants qui sont présents pour des motifs uniquement médicaux. Ils sont alors spectateurs de la présence des familles qui sont au chevet des jeunes malades et assistent aux soins, aux échanges familiaux, à la bienveillance de ceux-ci… Eux, leur famille, ils en ont été éloignés, ils ne peuvent ni la voir ni l’appeler. Lorsque des visites de leur famille au sein du service pédiatrique sont autorisées, elles sont la plupart du temps « cadrées » c’est-à-dire selon un planning bien défini et en la présence d’un intervenant psychosocial. Les professionnels des soins infanto-juvéniles sont alors pris en étau. D’une part, ils doivent surveiller et contrôler les visites des familles auprès du jeune patient et d’autre part, ils doivent construire un lien avec celles-ci et évaluer le niveau psychoaffectif de l’enfant. Ces missions sont inconfortables pour tous voire impossibles pour l’intervenant ; elles alimentent un climat de méfiance de la famille et du jeune à l’égard des professionnels et du système de soins.
Comment rester dans la bientraitance face à ces situations ?
Le personnel soignant, bien souvent débordé et désemparé face à ces jeunes enfants qui ne sont pas malades, ne peut leur octroyer un moment plus « maternant ». Dans le service de pédiatrie qui a pour mission de prendre soin des enfants, le manque d’aménagements prévus pour ceux qui y sont placés amène les professionnels à participer à une forme de maltraitance à leur égard par le non-respect de leurs droits. En effet, ces enfants s’endorment (quand ils y arrivent) sans être rassurés, seuls, avec leur peur… ils errent dans les couloirs de la pédiatrie, seul endroit pour marcher dans l’attente passive d’un lieu qui prendra en compte leurs besoins et leurs droits… Parfois ce lieu est trouvé rapidement, parfois ils séjournent des semaines voire des mois en pédiatrie, pis encore après des mois d’hospitalisation, ils retournent dans leur foyer familial faute de place dans les institutions et sans qu’aucune solution pérenne ne soit mise en place sur le long terme.
Quelle réponse face aux adolescents en crise ?
Face aux adolescents en souffrance psychique, nous sommes confrontés à la même difficulté qui est celle d’un manque de structures de soins pédopsychiatriques. Faute d’être entendus par des mots, ils « agissent leur souffrance », « leurs maux » : scarifications, tentative(s) de suicide, troubles alimentaires, fugue(s), … Ces situations se produisent au sein d’un service de pédiatrie dans lequel de jeunes patients et leur famille séjournent uniquement pour des raisons médicales… Agir qui laisse les familles qui en sont témoins choquées voire sidérées… Agir qui mobilise un grand nombre de professionnels autour du jeune (vigile, pédiatre, infirmier, psychologue, assistant social)… Agir qui reflète l’explosion de la souffrance du jeune… 16 ans, âge charnière : orientation vers une prise en charge « adolescentaire » ou adulte ? 16 ans, est-ce un âge où le jeune est suffisamment mature que pour être mélangé aux problématiques psychiatriques chroniques des adultes ? Que fait-on en Belgique de la souffrance d’un jeune qui a 16 ans accompli et qui nécessite des soins spécifiques et liés à son âge ?
Qui entend le bébé avant qu’il ne hurle à l’adolescence ?
Une autre problématique fréquemment rencontrée et tout aussi alarmante est celle de ces nouveau nés ou bébés, seuls ou accompagnés par leur mère, qui ne quittent pas l’hôpital avant quelques semaines voire des mois… De la maternité, mère et bébé qui inquiètent ou bébé seul se retrouvent dans une chambre de la pédiatrie pour « travailler le lien mère-bébé », pour être observés. Bien que les soins basiques soient donnés aux bébés (alimentation et bain), ceux-ci sont livrés à eux-mêmes. Parfois quand ils pleurent ou hurlent, une personne vient près d’eux. Parfois, il n’y a personne pour répondre à leur détresse… Ils attendent passivement dans leur lit cage avec pour seul compagnie le bruit d’un monitoring et parfois la visite ponctuelle de leur parent… Ces bébés sont parfois portés en écharpe par le personnel soignant, parfois mis dans un relax au pied du bureau infirmier ou dans un parc en plein milieu d’un lieu de passage dans lequel ils voient défiler des personnes étrangères et sont stimulés par divers bruits… Face à leur réalité trop violente, ils se réfugient dans le sommeil et se mettent en retrait relationnel…
Mère et bébé séjournant en pédiatrie s’enferment dans leur chambre, comme pour se couper du regard de l’autre perçu comme jugeant, comme pour préserver un semblant d’intimité…Cette porte de chambre qui doit pourtant rester ouverte pour que les intervenants puissent « les surveiller » … La mère craint de solliciter le personnel soignant pour des questions qu’elle se pose, elle sent qu’elle est observée, évaluée, seule et gène le service car elle n’y a pas sa place… Elle ne peut pas sortir avec son bébé prendre l’air, si elle part faire une course elle doit demander l’autorisation aux intervenants, transmettre son temps de sortie… Cette femme qui est parent se retrouve infantilisée… Elle occupe toute la place, a de nombreuses difficultés psychosociales qui l’inquiètent et qu’elle doit gérer au plus vite (logement, finances…), elle est bien souvent seule et on lui demande d’être disponible et sereine auprès de son bébé. Cette femme qui vient d’accoucher et qui a de nombreuses préoccupations…
La littérature scientifique renseigne que le cumul de précarités engendre de multiples facteurs de risque qui peuvent rendre la mère vulnérable en période périnatale et mener à une détresse psychique (dépression, anxiété) (Le Foll & Guedeney, 2014). Sa disponibilité émotionnelle à la naissance peut influencer la qualité de ses interactions avec son bébé et perturber les liens ainsi que la santé mentale du jeune enfant lorsqu’elle est préoccupée par les épreuves qu’elle vit ou a vécu depuis son enfance (Rousseau et al., 2019 ; Vanderpas et al., 2022). La psychopathologie de l’enfant peut découler de perturbations graves des interactions précoces en lien avec le dysfonctionnement de la fonction parentale (Le Foll & Guedeney, 2014) et de ses vaines tentatives d’adaptation à son environnement.
Bien que la responsabilité d’élever l’enfant et d’assurer son développement incombe aux parents, les états doivent leur accorder l’aide appropriée à cet exercice (Convention Internationale des Droits de l’Enfant, article 18). Or, il apparait un manque de mesures appropriées pour aider les parents à mettre en œuvre ce droit afin que leur bébé ne devienne pas l’adolescent hospitalisé de demain.
Comment réinjecter de la bientraitance dans le soin ?
Comment contribuer favorablement au bon développement physique et psychique de ces enfants qui sont les adultes en devenir ?
Le temps du séjour pédiatrique devrait se limiter à une prise en charge de 15 jours pour ces situations de crise. Cela permettrait d’évaluer médicalement le jeune tout en investiguant ses besoins et en envisageant les perspectives pour celui-ci. Durant ce temps de crise, assurer les droits des enfants et les accueillir au mieux en balisant leur séjour avec des critères tels que : un contrat pré établi avec le réseau de santé mentale infanto-juvénile et de l’aide à la jeunesse, un renforcement des équipes soignantes en pédiatrie (paramédicaux, médicaux et éducatives), des sorties extérieures, l’octroi d’un budget pour les activités extrascolaires, le maintien de la scolarité du jeune lorsque cela est possible, la mise en place d’un service qui encadre les visites des familles auprès des jeunes.
Devant faire face à une demande sans cesse croissante, dans des conditions pénibles tant pour les enfants que pour les professionnels infanto-juvéniles, il devient impératif de centraliser les soins aux jeunes et de reconnaître le rôle majeur qu’occupe le milieu hospitalier dès les prémisses du développement de l’enfant jusqu’à l’adolescence. Il paraît donc fondamental que les moyens humains, matériels et financiers nécessaires au bien être psychique et physique de l’enfant soient attribués à l’hôpital. La problématique n’est pas récente et en tant qu’acteurs de première ligne, nous nous inquiétons de la prise en charge proposée à ces familles, au manque d’intérêt de notre état à œuvrer au respect des droits de ces enfants, au manque de structures organisées pour assurer un accompagnement optimal. C’est pourquoi, nous vous interpellons quant à ces questions essentielles au soutien et à la préservation de la santé tant psychique que physique de cette population. Dès lors, nous, équipe médico-psychosociale du service de pédiatrie du CHU Ambroise Paré situé à Mons vous interpellons.
Derniers commentaires
Catherine MARNEFFE
25 avril 2023Cher docteur Thomas ,
Félicitations pour votre article, très bien écrit, clair, précis et résumant à merveille les aléas de l’hospitalisation d’enfants présentant des problèmes psycho-sociaux en Pediatrie . Je suis impressionnée par votre lucidité et votre engagement et en même temps très triste de constater que les choses semblent s’être empirées depuis mes premières constatations similaires en tant que pédiatre et puis pédopsychiatre de cet état de fait , il y a plus de 40ans . Vous avez raison de dire qu’il s’agit de maltraitance institutionnalisée . C’est la raison pour laquelle la dénonciation de et le centrage excessif sur la maltraitance individuelle dans un système, qui nie sa propre violence sont devenus insupportables. Je ne peux que vous témoignez mon admiration et mon soutien , tout en vous encourageant à passer à l action en pensant p. ex un projet pilote pour un héberge meilleur au sein de la pédiatrie avec les moyens du bord . Très cordialement, Dr .Catherine Marneffe , pédopsychiatre