Historiquement, la médecine d’urgence est peut-être la plus ancienne discipline médicale connue car, par définition, elle recherche une solution adéquate aux manifestations aiguës et aux désagréments résultant de toutes sortes d’affections. Il est donc curieux que cette branche de la médecine tributaire des situations, ait presque été la dernière à se distinguer comme une spécialité à part entière dans le monde et dans notre pays, contrairement à toutes les disciplines organiques et auxiliaires agréées depuis longtemps.
La nécessité d’une telle reconnaissance est née de la prise de conscience que, dans un contexte de sous-spécialisation croissante, il était illusoire que l’ensemble des disciplines soient présentes en permanence dans chaque service d’urgences, 24h/24 et 7j/7, pour prendre en charge tout patient souffrant d’un problème de santé aigu. Le terme «aigu» désigne un éventail de situations allant d’une affection soudaine et plutôt gênante à un état qui engage immédiatement le pronostic vital.
La plus longue des formations
De vastes connaissances et compétences sont nécessaires pour assumer des responsabilités médicales aussi étendues. Ainsi, la formation complète des médecins urgentistes est devenue la plus longue (6 ans), la plus variée et la plus difficile de toutes. Les nombreux candidats qui se présentent chaque année pour se consacrer à cette spécialité particulière prouve qu’un tel parcours ne décourage jamais les médecins diplômés les plus motivés. Malheureusement, les lourdes exigences mentales et physiques obligent de nombreuses personnes à se réorienter en cours de route. Il est donc normal que la profession de spécialiste en médecine d’urgence fasse partie des métiers pénibles.
Le développement de la médecine d’urgence a un autre effet positif sur la santé publique: les soins aigus hautement spécialisés sont rapprochés des patients et du lieu de la catastrophe, à tout moment de la journée, sans qu’il faille les transférer d’abord à l’hôpital. On n’imagine plus les Smur ailleurs que dans la rue et la population de notre pays demande à juste titre de pouvoir recourir à ce type de médecine. Malgré tous les efforts déployés pour filtrer les appels, il y aura toujours des débats a posteriori pour savoir si la mobilisation de ces ressources était justifiée ou non. Ces discussions sont du même ordre que la question de savoir si un patient a vraiment besoin d’un médecin pour chaque problème de santé.
S’il faut faire appel aux Smur, une erreur d’appréciation peut très vite avoir des conséquences dramatiques. Ce n’est certainement pas ainsi que les médecins urgentistes s’enrichiront: un honoraire fixe de 62 ou 95 euros pour aller sauver une vie humaine dans des circonstances généralement difficiles, jour et nuit, parfois au péril de sa propre vie, quelle que soit la durée de l’intervention qui comprend l’accompagnement à l’hôpital, est un exemple flagrant du manque d’équité des règlements de l’Inami; c’est même un tarif que la plupart des médecins ne prendraient pas en considération. Le serrurier qui doit parfois ouvrir un bâtiment lors d’une intervention est généralement le mieux payé des intervenants.
Comme pour d’autres professions médicales, l’évolution des besoins accentuera certaines compétences au sein des disciplines existantes. À mon avis, la compétence la plus importante qu’un spécialiste en médecine d’urgence devra posséder à l’avenir, est le sens de l’organisation en situation de stress.
Soutien médical massif
La gestion des catastrophes fait justement partie de la formation. Outre la valeur ajoutée que les compétences acquises apportent à l’organisation du flux quotidien et imprévisible des pathologies aux urgences, elles sont aussi un atout pour suivre l’évolution de notre société. Actuellement, l’organisation de toutes sortes d’événements de loisirs de masse (sport, musique) nécessite des connaissances professionnelles afin d’apporter le meilleur soutien médical possible en cas de catastrophe. Les urgentistes sont les mieux placés pour intervenir. Même lorsque des besoins peut-être récents nécessitent un soutien médical massif à brève échéance - pensez aux vaccinations de masse ou aux guerres imminentes - une collaboration avec les services d’urgences est pratiquement incontournable. Il importe de reconnaître que ces questions tiennent aussi de la pratique médicale et que les spécialistes qui assument ce rôle de santé sociale ne soient pas pénalisés parce que leur apport professionnel ne relève pas, ou pas encore, d’un portefeuille de nomenclature classique.
Enfin, l’engagement permanent de toutes les disciplines médicales avec lesquelles nous travaillons est aussi extrêmement important pour continuer à garantir des soins de santé de qualité. Ce n’est pas parce que les urgentistes renforcent leurs compétences et leur engagement que les autres collègues doivent ou peuvent négliger les leurs. Seule une collaboration intense et des efforts collectifs permettront de récolter les fruits auxquels notre société a droit. Malheureusement, dispenser des soins au lieu et au moment où le patient en a besoin n’est pas toujours ce qu’il y a de plus commode pour le médecin.