Rapport Antares: le décryptage de G. Bejjani et de P. d'Otreppe

Le Rapport Antares financé par l'ABSyM et ABDH  réalisé en juillet 2020, porté par Paul d'Otreppe, président de l'Association belge des Directeurs d’hôpitaux et le Dr Gilbert Bejjani, secrétaire Général de l’Absym, a été présenté lors d’un webinar ce mardi 30 mars en fin d’après-midi. Décryptage par les deux initiateurs du projet.

Le modèle de financement hospitalier en Belgique ne permet plus aucune réforme partielle, sans le rendre encore plus complexe, obscur et difficilement utilisable comme un outil de gestion, soit par les institutions, soit par les régulateurs. Que faire ? Paul d'Otreppe, président de l'Association belge des Directeurs d’hôpitaux (ABDH) et le Dr Gilbert Bejjani, Secrétaire Général de l’Absym, anesthésiste au Chirec et directeur médical à la Clinique de la Basilique, veulent bousculer les codes et amener une nouvelle voie de réflexion avec le rapport indépendant d’Antares sur l’ «analyse comparative des méthodes des financements des hôpitaux et les perspectives d’avenir pour la Belgique» qui vient d’être dévoilé dans un webinaire organisé par l'ABDH et l'Absym le mardi 30 mars. 

«Toutes les évolutions vont devoir se faire dans le respect de chacun. Personne ne veut sous-financer les médecins ou les hôpitaux, mais il faut responsabiliser les acteurs» expliquent-ils tous les deux.
Ce rapport se penche sur de nouvelles formes de financement (capitation ou bundled payments) issues de l’évolution des DRG, qui s’intéressent à la coordination et à la qualité des soins tout au long du parcours des patients, en amont et en aval de l’hôpital: «Le système de financement actuel, en plus de son opacité, induit un décalage de financement pour le gestionnaire, puisque les pathologies traitées influencent en partie le financement octroyé 2 à 3 ans plus tard. Comme disait un des participants du webinar sur twitter “diriger un hôpital c’est piloter un avion sur la base d’un bulletin météo datant de trois ans.»

Un système de DRG en Belgique, est un système qui n’en est pas un… Il ne représente qu’environ 20% à 30% des recettes de l’hôpital. Ils sont utilisés à la fois dans le financement du BMF, des médicaments et des honoraires, mais avec des règles qui sont différentes d'une source à l'autre.»! précise le rapport.

Pour quoi faire ? 
Une logique sous-tend ce rapport que Paul d’Otreppe et le Dr Gilbert Bejjani, qui sont à l'origine du projet, nous commentent: «Des nouvelles modalités engendrent une nouvelle logique, qui est celle de faire bien plutôt que beaucoup. C’est-à-dire l’ouverture au concept de Value-Based HealthCare, qui permet d’orienter la pratique des soins vers les activités qui produisent les meilleurs résultats possibles en matière de santé, c’est-à-dire les plus pertinents pour le patient et pour chaque dépense encourue.» 

Le covid un accélérateur 

Pour nous, ils reviennent sur la genèse du projet et cette volonté d’aller de l’avant pour aboutir à un meilleur système de santé. Pour le Dr Gilbert Bejjani «avec le covid, on a eu la preuve que le système est dépassé.» Avec Paul d'Otreppe, président de l'Association belge des Directeurs d’hôpitaux, ils aspirent à la « recherche d’excellence et d’efficience dans les soins de santé.» Ils précisent d’emblée que «toutes les évolutions doivent se faire dans le respect de chacun. Personne ne veut sous-financer les médecins ou les hôpitaux, mais il faut responsabiliser les acteurs.»

Est-ce vraiment possible un tel changement? 

Paul D’Otreppe: «On a tellement diabolisé tout le changement. Le système est hermétique à la modernisation. A Singapour, ils ont commencé le changement en 2013. Ils l’ont fait. La Belgique est un paradoxe, elle fait les réseaux hospitaliers sans sa raison d’être à savoir les financements. Les réseaux... c’est une réforme difficile partout dans le monde et probablement impossible sans ce support du financement par pathologies.». Pour Gilbert Bejjani, «ce changement est possible s’il y a une certaine volonté politique qui rejoint l’aspiration d’une grande partie des acteurs.»

Ce rapport est-il la solution?
Paul D’Otreppe: «Le plus important dans le rapport, c’est qu’il amène une proposition de solution. On doit se comparer aux pays étrangers. Le rapport ne répond pas à tout. On part de quelque chose qui est scientifique: si tes avantages sont justifiés, tu les gardes, mais s’ils ne sont pas justifiés, il faut les changer.» Le rapport donne donc l’espoir d’avoir un système qui pourrait être meilleur? «Il ouvre une voie de la réflexion. Des fédérations ont invité tout leur membre à suivre notre webinaire. J’ai eu des patrons de fédérations et des médecins qui veulent collaborer avec nous. Évidemment, il y aura des gens qui feront de l’opposition. Ce sont eux qui seront autour de la table demain pour négocier le futur système et leur intérêt est important ». Pour Gilbert Bejjani ce rapport est une étape, pas une finalité, fondamentale pour définir un paiement forfaitaire prospectif, qui soit lisible pour les acteurs

Quand avez-vous commencé à y penser? 
Gilbert Bejjani: «Il y a 4-5 ans. Je voulais savoir où partait le budget des soins de santé et connaître la vérité à propos des honoraires sur le prélèvement en Belgique. Je voulais une étude pour clarifier les frais. Une prothèse de hanche, c’est 20.000 euros. L’honoraire des médecins est de 2.000 euros. Où vont les 18.000 euros? Combien prend l’hôpital? Je n’en sais rien. Pour clarifier cela, il faut avoir une vue des coûts en Europe pour une même pathologie et alors le financement devient un outil intéressant pour promouvoir l’efficience et le partage des missions dans les réseaux.»

Vous êtes d’accord sur tout dans cette étude?
Gilbert Bejjani: «L’étude, c’est le financement des hôpitaux. Ce n’est pas le financement des médecins. Il suggère une combinaison de l’acte et du forfait. Le rapport ne dit pas du tout d’où viendra le financement. . L’étude n’a, par ailleurs, aucune vocation à parler des honoraires des médecins.»
Paul D’Otreppe: «Ce rapport nous apporte une méthodologie de travail. Tant pour les hôpitaux que pour les médecins, cette démarche va tendre vers le qualitatif et l’efficient.»

Ce rapport vient-il au bon moment?
Gilbert Bejjani: «C’est un tout. On est dans un moment important. On peut rêver que l’on peut revoir la nomenclature...mais dès que l’on va intervenir entre les spécialités cela n’ira plus. On ne s’en sort pas avec le détricotage du BMF, ni les réseaux.... Le rapport crée un outil qui n’est pas normatif, mais qui finance l’objectif. Il est pragmatique et rapide. Il offre la possibilité d’arrêter l’inflation des actes. Il arrive au bon moment par rapport à la crise du covid et à des réformes qui pataugent.»

Notre système est à bout de souffle?
Gilbert Bejjani: «Le système aujourd’hui en Belgique est pervers pour les prestataires, il est vicieux pour le payeur  et il est mauvais pour les patients qui doivent payer de plus en plus de leur poche. Il est déresponsabilisant ! Pourtant, on a des médecins et des directeurs qui sont prêts à aller de l’avant.»

Qui va faire quoi? 
Paul D’Otreppe: «Il faut coconstruire la solution. Un partenariat médecin-hôpitaux. On ne va pas copier le système allemand, français...on va construire le système belge en tirant le meilleur de chacun. On ne prendrait pour moi, par exemple, pas le système des médecins salariés des hollandais... Ce qui compte, c’est le résultat. La mission principale est de guérir les gens.» 
Gilbert Bejjani: «Notre souci est l’efficience du système et l’innovation. Aujourd’hui, 80% des médecins qui n’ont pas voté aux dernières élections syndicales ne suivront plus une voie syndicaliste qui ne bouge pas. Le médecin doit être financé à l’acte avec quelques forfaits. Le but est vraiment de pouvoir trouver des marges pour revaloriser l’acte. Le système actuel de rémunération des professionnels manque d’harmonisation, et il est très peu transparent… Les taux de rétrocession sont fortement variables d’un établissement à l’autre et résultent d’une négociation interne entre les représentants des professionnels et l’institution.»

Combien de temps tout cela pourrait prendre? 10 ans?
Paul D’Otreppe: «Pas du tout. On peut partir d’un lancement d’une période transitoire. Il s’agit durant une période de 3 ans, et sur base de la valeur du point calculée, de communiquer aux établissements quel serait leur budget théorique sous le nouveau système, tout en conservant le financement dont ils disposent actuellement selon les modalités de financement historiques. Des mesures financières adaptées d’accompagnement au changement peuvent financer cette transformation mais sans en biaiser l’objectif. C’est le prix à payer pour une réforme.  Il s’agit donc uniquement de tenir informés les établissements hospitaliers de l’éventuel impact du nouveau modèle, afin de commencer à anticiper les réformes qui seraient nécessaires. Ce transfert d’informations pourrait se faire par via les réseaux hospitaliers locorégionaux et il devrait y avoir une évaluation et des échanges réguliers sur base des chiffres de cette facturation pour garantir l’ajustement.»

Et le Shadow System ?

"Dans les grandes réformes, une des questions délicates est de décider comment faire la transition." répond Paul d'Otreppe.

"La proposition du Shadow signifie que pendant une période déterminée les hôpitaux recevraient le financement avec la méthode traditionnelle et, à titre informatif, le montant du nouveau financement. Cette information (le Shadow) et la différence entre les deux montants permet à l’institution de faire l’analyse des causes de ce gap et de prendre les mesures nécessaires pour s’aligner avec ce qui sera le financement définitif. L’alternative au Shadow, et la plus commune utilisée, est d’implanter la nouvelle méthode et de financer les déficits, pour ceux qui en auront, en subventionnant totalement ce déficit dans un premier temps, puis de progressivement diminuer ce subventionnement. Mais les pays qui l’ont adopté nous montrent que cette stratégie était un peu agressive…  En revanche, le Shadow est beaucoup plus pédagogique."

> Le résumé du Rapport Antares
> L'intégralité du Rapport Antares

> Lire aussi: Rapport Antares: pour une réforme rapide et choc du financement des hôpitaux!

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