Après les révélations mercredi du quotidien néerlandais De Volkskrant sur les centaines d'académiciens néerlandais qui avaient publié ces dernières années des articles scientifiques dans des revues bidon, c'est au tour de chercheurs belges d'être épinglés par le le journal flamand De Morgen. Leurs articles ont été publiés, généralement moyennant paiement, sans aucune évaluation fiable.
Pour réaliser son étude, De Morgen s'est appuyé sur les données du journal allemand Süddeutsche Zeitung ainsi que les chaines allemandes Norddeutscher Rundfunk et WDR. Ceux-ci ont passé au crible plusieurs sites web douteux, tels que l'éditeur turc Waset et l'indien Omics, et ont relevé les noms et les insti tutions des auteurs de dizaines de milliers d'articles.
L'enquête du Morgen a montré que 1.294 scientifiques belges ont publié, depuis 2007, un total de 295 articles dans de fausses revues scientifiques. La publication d'un article dans une telle revue ne signifie pas nécessairement qu'il est vide de sens mais le problème ici posé est qu'il n'y a aucune évaluation fiable effectuée par les pairs (ou peer review selon l'expression anglophone couramment utilisée).
Parmi les universitaires belges dont des articles ont été publiés dans ce genre de revues figurent le philosophe médical Ignaas Devisch ainsi que le professeur émérite d'endocrinologie de Gand, Frank Comhaire. Les scientifiques doivent payer pour de telles publications ou reçoivent après publication une addition salée.
Toutes les universités flamandes sont concernées, selon De Morgen.
Dans une réaction, la Vrije Universiteit Brussel (VUB) promeut la mise en place de listes blanches et noires afin d'aiguiller les scientifiques vers des revues dignes de confiance.
Frank Comhaire a reconnu avoir publié des textes dans ces "pseudo-revues scientifiques", mais souligne que le scientifique est lui-même responsable de la qualité de son travail. "J'ai une réputation à maintenir, donc je fais en sorte d'apporter de la qualité, peer review ou non. Un de mes derniers articles parus dans une revue Omics en 2016 a été lu 400 fois, ce qui est fantastique. C'est ce que l'on veut, non?" Le même scientifique indique aussi que la différence entre ces revues et les revues scientifiques reconnues est exagérée: "même dans les revues renommées, le peer review n'est plus ce qu'il était. J'ai récemment publié chez Elsevier et je pouvais donner trois amis comme 'reviewers'", précise-t-il.
Luc De Schepper, recteur de l'UHasselt, indique que la question va être abordée en interne, et souligne qu'il ne s'agit certainement pas d'une problématique "tout blanc - tout noir". "Certaines revues sont considérées comme 'prédatrices' ('predatory', ou douteuses), mais contestent cela ou travaillent quand même de manière correcte. Pour nos chercheurs, ce n'est donc pas toujours évident de distinguer les revues valides ou non. Ils peuvent très bien avoir agi de bonne foi".
La ministre flamande de l'Enseignement Hilde Crevits (CD&V) souligne de son côté que les publications dans de "fausses revues scientifiques" ne sont pas prises en compte dans le financement des universités. "Pour les sciences humaines, nous tentons de clarifier les choses avec des listes de fausses revues".
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Le débat continue sur @MediSphèreHebdo et @LeSpecialiste
On a aussi du pseudo-bidon, du vrai bidon et de la vraie falsification des données en Belgique. Tout pour publier ? Combien d’articles ont-ils vraiment un impact sur la prise en charge ? Peu. Mais c’est un mal nécessaire (sauf la fraude) De tout cela sort parfois l’idée de génie.
— Gilbert Bejjani (@drbejj) 8 août 2018
Un scientifique qui n’a pas la prescience de s’interroger sur la fiabilité de la revue où il publie m’interroge.
— Valérie Kokoszka (@vkokoszka) 10 août 2018
Cfr le lien de @giovbriganti https://t.co/5zoKGEb9BJ qui a fait un article assez éclairant sur le sujet
— depuydt caroline (@DepuydtCaroline) 10 août 2018
Publish or perish. C'est une conséquence directe du mode d'évaluation des chercheurs : ces revues font miroiter des facteurs d'impact très élevés, ce qui attire les jeunes chercheurs dans un monde sous-financé où les possibilités de carrière académique sont de plus en plus rares.
— Sébastien Jodogne (@sjodogne) 11 août 2018