On a pu lire récemment dans la presse médicale des réactions d’anciens représentants syndicaux des médecins qui, pour une énième fois, tapent sur les francophones au sujet du contingentement du nombre de médecins à diplômer, avec à l’appui le rapport entre les médecins et les habitants. Ce débat qui revient en permanence m’oblige, à chaque fois, à réagir pour fournir un point de vue plus scientifique et plus désintéressé sur la question que j’étudie depuis le moment où j’ai commencé mes études de médecine. Voici donc quelques-unes de mes réflexions, sachant qu’il est impossible de nuancer toutes les difficultés dans le débat sur la planification médicale.
Pour brièvement replacer l’église au milieu du village, le nombre brut de médecins surestime l’offre médicale : c’est l’équivalent temps plein (ETP) par habitant qu’il faut considérer, car ce dernier pourra tenir compte de deux facteurs importants : la féminisation et le vieillissement de la profession. La différence entre le nombre brut de médecins et l’ETP/ habitant est abyssale : à titre d’exemple, le Hainaut a 55% de ses médecins généralistes qui ont 55 ans ou plus. En d’autres termes, il n’est plus justifiable d’utiliser le nombre brut de médecins par habitant (sans d’ailleurs faire différence entre médecins généralistes, médecins spécialistes et par spécialité), et l’utilisation de cet indicateur n’est plus pertinente.
Ceci n’est qu’un seul exemple à l’encontre du maintien du contingentement tel quel : des équipes de scientifiques pilotées par le Prof. Deliège (UCLouvain) avaient déjà mis en évidence en 2006 comment pendant la période 2015-2024, de nombreux médecins vont partir à la pension, laissant un gros vide non remplaçable à moyen terme derrière eux.
Le Prof. Deliège a par la suite publié une étude en 2015 montrant comment la Fédération Wallonie Bruxelles verrait environ la moitié des médecins partir à la pension sans remplacement avant 2025, tandis que la Flandre verrait le nombre de remplacement monter jusque 150% (en d’autres termes, une pléthore de médecins en Flandre et une pénurie en Fédération Wallonie Bruxelles). Ceci seul est une raison suffisante pour comprendre les raisons de la polarisation de ce débat entre francophones et flamands : on peut conclure qu’il n’y a pas de pénurie en Flandre (voir pléthore dans certaines spécialisations, surtout chirurgicales), ce pourquoi nos confrères du nord de la Belgique tiennent tant à limiter le nombre : on doit donc être plus compréhensifs à leur égard, même s’ils infèrent systématiquement qu’en Fédération Wallonie Bruxelles la situation est la même (seulement 43% des cohortes de médecins partant à la pension remplacées au sud du pays en 2025).
Il est aussi important de souligner que la Flandre, malgré avoir installé un concours d’entrées récemment, bénéficie d’un lissage positif (de numéros INAMI supplémentaires sont accordés systématiquement s’il y a un plus gros nombre d’étudiants), bien utile pour amortir les étudiants diplômés pendant 20 ans lorsque l’examen d’entrée sans numerus fixus a presque systématiquement laissé passer des surnuméraires après les années 2000. Il faut donc également cesser de parler de surnuméraires du côté francophone, puisqu’il s’agit de médecins actifs nécessaires pour combler le manque qui ne cesse d’augmenter.
Malgré ce manque, il existe également en Fédération Wallonie Bruxelles une sélection à l’entrée, qui laisse sur le carreau des milliers de jeunes chaque année : la sélection était nécessaire pour des raisons politiques dans l’intérêt des anciens candidats médecins de la double cohorte et les suivants, puisque depuis 2017 si le nombre de candidats admis en première dépasse le nombre de quotas, alors un numéro INAMI n’aurait pas été garanti systématiquement à chaque étudiant en cours de cursus.
Même si la sélection était nécessaire, elle n’était pas suffisante à cette garantie : en effet, le nombre d’étudiants réussissant l’examen d’entrée ne cesse d’augmenter, ce qui montre la précarité de cette situation : même les étudiants réussissant l’examen d’entrée ne sont plus certains d’obtenir un INAMI ! Le dossier des quotas dépend donc fortement du niveau politique (« de ce qui est dans l’air du temps », déclaraient certains en 2015)
Le contingentement actuel est aussi inefficace pour d’autres raisons : à titre d’exemple ,
1- La clé de répartition des quotas INAMI (40% FR 60% NL) est obsolète, et ceci est exprimé dans les études depuis 2015 : le maintien de cette répartition avec en plus le lissage négatif avait été qualifiée comme pouvant « désorganiser gravement le système de santé francophone ». Une répartition de 50/50 jusque 2030 avait été indiquée depuis des années pour corriger le surplus en Flandre et la pénurie francophone. Malgré cela, chaque année, la commission de planification garde le cap en rétablissant la même répartition.
2- Les quotas ne tiennent pas compte des étudiants qui échouent ou abandonnent les études et ceux qui n’exerceront jamais des fonctions curatives : à ce titre, il avait été également indiqué il y a 5 ans de majorer les quotas de 20% environ.
3- Les quotas ne tiennent pas compte des abandons précoces des jeunes médecins : 1 médecin sur 10 quittant la profession dans les 10 ans depuis le début de sa pratique.
4- Le contingentement ne tient pas compte des sous-quotas (nous avons besoin de médecins dans certaines spécialités et moins dans d’autres). Le problème des sous-quotas est actuellement en analyse.
Il ne faut pas oublier que la vraie sélection a lieu en dernière année, au moment des concours de spécialisation : sur cela, les universités gèrent la totalité du problème en fonction des places de stage disponibles, et ces dernières fluctuent fortement en fonction de débat politiques institutionnels : par exemple, on concentre systématiquement les médecins assistants dans de gros centres universitaires et on laisse des centres pourtant agrées en périphérie sans médecins assistants. Une correction dans ce sens pourrait augmenter systématiquement le nombre de médecins en formation, et par conséquent des étudiants en médecine pouvant être absorbées par les structures de soins francophones.
C’est sur ce dernier point qu’il faut également s’attarder : les conditions de travail des jeunes médecins dépendent directement de la force de travail médicale dans les hôpitaux : même dans les centres universitaires (où il y a plus de médecins), les médecins candidats spécialistes souffrent de mauvaises conditions de travail, avec notamment des horaires trop chargés (> 80h/semaine souvent). Les directions hospitalières sont avides de jeunes médecins pour garder un équilibre précaire.
Il faut faire particulièrement attention lorsqu’on fait des déclarations au sujet du débat sur le contingentement : le débat est complexe, multifactoriel, et la réalité de terrain change avec les nouvelles générations. Il faut également combattre avec véhémence l’immobilisme poussé dans ce dossier par des mentalités vétustes et n’étant pas au courant du monde jeune, en révolution et désirant désormais une profession permettant une meilleure qualité de vie, plutôt que se focalisant uniquement sur le financier.
Le débat se poursuit sur @JdS_SK et @MediSphereHebdo
Je me demande comment certains hôpitaux et médecins auraient géré la crise Covid sans la "pléthore" de PG ...
— Lamelyn Quentin (@QuentinLamelyn) July 9, 2020
La génération actuelle de futurs et jeunes médecins est celle qui est la plus concernée et qui va souffrir le plus du système actuel et pourtant on a toujours droit à des discours de vieux médecins flamands pour venir enfoncer le clou ça commence à devenir fatigant...
— Basil Sellam (@BasilASOH) July 9, 2020
C’est sur que ce n’est pas certains octogénaires de l’@absymtweets qui ont bossé des 80-90h/s. Certains donnent leur avis éclairé (ou non) sur le contingentement mais observent le terrain depuis longtemps depuis leur canapé ou leur fauteuil d’oré dans leur cabinet privé.
— Jerome R. Lechien, MD, PhD, MS (@JeromeLechien) July 9, 2020
Derniers commentaires
Laurence Kiehm
15 juillet 2020ENFIN une analyse pertinente de la situation! Merci !
Dans la pratique de tous les jours on observe d'une part la limitation de l'accès à la profession car nous serions " en surnombre" mais par ailleurs l'arrivée massive de médecins étrangers qui viennent combler la pénurie sur le terrain ( et qui eux n'ont pas toujours la même qualité de formation mais qui obtiendront sans problème leur numéro INAMI!) La situation est complètement abracadabrante!
De plus quand vous regardez chez nos voisins français , ils ont abandonné la solution des quotas depuis longtemps car c'est inadapté.. je rappelle que le raccourci moins de médecins- moins de prescripteurs est de nouveau aberrant( or c'est clairement le but visé in finé!)
je ne me réjouis pas de vieillir au vu de ce qui se passe....
Alexandre SARAFIDIS
10 juillet 2020Cher Confrère ,
Votre point de vue me semble erroné . Les chiffres parlent d’eux-mêmes .
De plus la digitalization accrue de la medecine avec l’aide de robot docteur assistant fêtons en sorte que tres rapidement le nombre de médecins humains necessaire S’effondrera .
See au s compter là formation insuffisante qu’il en découlera .
Une Dernière conséquence sera la paupérisation des jeunes médecins .
Essayons de voir l’apport de la digitalization qui dzns tous les secteurs nécessite moins de personnels . La médecine ne fera pas exception.
Yves VAN LAETHEM
10 juillet 2020Tout à fait d'accord avec cet exposé clair: la réalité du terrain dément les chiffres fallacieux que l'on oppose depuis longtemps à la médecine en général, de première ligne en particulier, du monde francophone.
Les déserts médicaux (en campagne, même favorisées, comme le Brabant Wallon et dans certaines petites villes) sont des réalités, pas une impression !
Les deux communautés n'ont pas le même vécu: elles n'ont pas besoin de la même thérapeutique et ce qui sauve un patient peut en tuer un autre !
Y.Van Laethem